L’éthique du care contre l’exceptionnalisme humanitaire

Arnaud Dandoy
Arnaud DandoyDocteur en criminologie (université de Kent, Royaume-Uni), Arnaud Dandoy est actuellement chargé de cours à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de l’université d’État d’Haïti et membre cofondateur du Réseau de recherche en criminologie de l’action humanitaire. En 2015, il a été lauréat d’une bourse postdoctorale du Fonds Croix-Rouge française, intitulée « L’impact de la gestion des risques sécuritaires sur les relations sociales dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince ».

Et si les acteurs humanitaires nourrissaient l’hostilité qu’ils rencontrent parfois en perpétuant des rapports de domination symbolique et sociale avec leurs employés locaux ? C’est l’hypothèse, tirée de sa propre étude, que développe ici Arnaud Dandoy, docteur en criminologie. Si l’auteur vante les vertus de l’éthique du care, aux dépens de l’éthique kantienne, ce n’est pas un simple exercice philosophique, mais une exigence pour mieux comprendre le fossé qui se creuse entre acteurs humanitaires et populations.

Depuis la chute du mur de Berlin et singulièrement depuis le 11-Septembre 2001, la communauté humanitaire n’a cessé de déplorer la détérioration de l’espace humanitaire. Suivant un discours largement répandu, les humanitaires seraient de plus en plus la cible d’attaques criminelles ou terroristes. Si la nouveauté de cette menace n’est pas certaine, elle alimente en revanche un sentiment d’insécurité disproportionné par rapport à la réalité de la menace[1]Arnaud Dandoy et Marc-Antoine Pérouse de Montclos, “Humanitarian workers in peril? Deconstructing the myth of the new and growing threat to humanitarian workers”, Global Crime, vol. 14, … Continue reading.

Face à cette insécurité objective et subjective, en général, et à l’hostilité envers les humanitaires, en particulier, c’est l’approche managériale et rationnelle de la gestion des risques qui l’emporte. Les experts se concentrent sur les « causes » facilement manipulables sans chercher à comprendre les racines du problème, qui sont nécessairement situées chez l’autre. Sous cet angle, le pauvre est celui qu’il faut aider, mais aussi celui dont il faut se protéger. La bunkérisation et la stratégie de l’évitement deviennent alors les seules réponses à la menace, alors même qu’elles ne font que renforcer les dynamiques de ségrégation et d’entre-soi.

Les résultats d’une étude menée sur les relations entre les acteurs humanitaires et le « petit personnel » apportent un nouveau regard sur le problème de la sécurité humanitaire[2]Arnaud Dandoy, « Des humanitaires et de leurs femmes de ménage. L’éthique du care contre l’exceptionnalisme humanitaire », Fonds Croix-Rouge française, Les Papiers du Fonds, octobre … Continue reading. L’hypothèse de départ était que les humanitaires ne sont pas des figures d’exception, qui subiraient les conséquences d’un environnement hostile sur lequel ils n’ont aucune prise. Au lieu de chercher dans les déficits de l’autre, il s’agit d’étudier le lien qui unit l’un à l’autre. En effet, si l’hostilité aux acteurs humanitaires n’est pas étrangère à l’action humanitaire, il importe de comprendre qu’elle naît d’un rapport de domination se manifestant à l’échelle planétaire dans les rapports Nord-Sud et s’immisçant dans les relations entre le personnel humanitaire et les populations locales. En partant d’une problématique locale identifiée – celle des relations entre les humanitaires et leurs femmes de ménage –, cette étude tout comme le présent article, qui en constitue la synthèse, fournit les bases d’une réflexion théorique et empirique autour de la problématique de la sécurité humanitaire.

Les fondements théoriques du champ d’expertise sur la sécurité humanitaire

Depuis le milieu des années 1990, un nombre significatif de spécialistes d’horizons et de disciplines variées ont étudié, sous différents angles, la nature, les causes, les effets et les réponses à apporter à la menace à l’égard des acteurs humanitaires. À l’intérieur de ce champ d’étude sur la sécurité humanitaire, deux approches théoriques se distinguent que Robert Cox appelle problem-solving theory et critical theory[3]Robert W. Cox, “Social Forces, States and World Orders : Beyond International Relations Theory”, Millennium – Journal of International Studies, vol. 10, n° 2, 1981, p. 126-155.. La théorie qui domine dans le discours des experts en sécurité humanitaire est la première, celle de la « résolution de problèmes », qui traite les enjeux de sécurité « comme des problèmes techniques nécessitant des solutions techniques » mais qui, par là même, occulte « les conflits sociaux et politiques, les rapports de forces et les intérêts qui façonnent l’arène où les acteurs de l’aide négocient leur présence et leur protection[4]Michael Neuman et Fabrice Weissman, Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l’ère de la gestion des risques, CNRS éditions, 2016. ».

Pour les chercheurs du Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires (Crash, abrité par la Fondation Médecins Sans Frontières) que nous venons de citer, cette approche technocratique de la gestion du risque n’apporte pas de réponses convaincantes aux inquiétudes des acteurs humanitaires, dont la parole doit être privilégiée : « L’alternative à la culture dominante de la sécurité implique ainsi de faire confiance à la sagesse pratique des travailleurs humanitaires et de contribuer à son épanouissement par le récit et l’analyse de leurs expériences face aux dangers[5]Ibid., p. 44.. » Or les expériences des humanitaires ne sont pas plus ou moins objectives que celles des experts, dont le modèle actuariel ne représente qu’une vision du monde en conflit avec d’autres manières de penser et d’agir face aux risques[6]Considérant l’action humanitaire comme un domaine où s’exerce ce que le sociologue Stephen Lyng a nommé edgework (« les pratiques limites ») , Silke Rothe a montré comment les acteurs … Continue reading. Quoi qu’il en soit des savoirs experts ou profanes, les discours sur la sécurité du personnel humanitaire restent largement « ONG-centrés ».

À l’inverse, les théories critiques cherchent à comprendre le rôle des institutions et des relations de pouvoir dans l’émergence et le changement de l’ordre mondial. C’est l’approche suivie par Mark Duffield pour appréhender le problème de l’insécurité humanitaire :

« Une solution de base consisterait pour les agences de l’aide à se détacher et à prendre leurs distances avec l’idéologie, la pratique et les objectifs de l’interventionnisme libéral, à rejeter publiquement le financement de l’État et à promouvoir une action indépendante. Cela impliquerait aussi de parler de la politique étrangère occidentale. Pour une industrie de l’aide embarquée, ceci constitue un choix politique impossible. D’où l’option organisationnelle apparemment plus facile (mais plus coûteuse en termes de vies des travailleurs humanitaires) qui est de tenter de s’adapter aux menaces sécuritaires changeantes créées par cet interventionnisme libéral[7]Mark Duffield, “Risk Management and the Fortified Aid Compound: Every-day life in Post-Interventionary Society”, Journal of Intervention and Statebuilding, vol. 4, 2010, p. 453-474 … Continue reading. »

Plutôt que de se cantonner à une approche technocratique et standardisée sans souci du contexte, l’enjeu consiste à explorer les mécanismes de pouvoir et de domination qui alimentent l’hostilité envers les acteurs humanitaires. C’est ce que nous avons essayé de faire en examinant les rapports inégalitaires et paradoxaux qui se développent de façon cachée entre les humanitaires et le personnel de maison, en nous appuyant sur les théories du care.

Les fondements éthiques du champ d’expertise sur la sécurité humanitaire

La montée en puissance du discours sécuritaire au sein de la communauté humanitaire révèle une crise plus profonde provoquée par la redéfinition des frontières du champ humanitaire au cours des vingt dernières années[8]Dans un article, nous avons mobilisé le concept de « panique morale » (Stanley Cohen, Folk Devils and Moral Panics : The Creation of the Mods and Rockers, Londres, Paladin, 1973) pour, … Continue reading. Et, comme à l’époque des Lumières, les humanitaires ont trouvé dans la science des modes de contrôle (de type managérial) capables de consolider leur foi – ébranlée – dans la raison humanitaire, c’est-à-dire dans leur capacité à changer l’ordre du monde[9]Craig Calhoun, “The Imperative to Reduce Suffering: Charity, Progress, and Emergencies in the Field of Humanitarian Action”, in Michael Barnett et Thomas G. Weiss, Humanitarianism in … Continue reading. L’éthique a joué un rôle central dans le processus de rationalisation de la gestion des risques au sein de la communauté humanitaire. L’éthique kantienne demeure en effet toujours le paradigme dominant de l’humanitaire moderne[10]Michael Barnett, Empire of Humanity: A History of Humanitarianism, Ithaca, N.Y., Cornell University Press, 2011. et l’héritage du philosophe allemand se retrouve dans l’inflation normative et les tentatives de codification de l’action humanitaire (Projet Sphère, Active Learning Network for Accountability and Performance in Humanitarian Action , etc.). Quant aux règles de sécurité, elles deviennent des règles morales, généralement et inconditionnellement (ou catégoriquement) applicables à toutes personnes ou toutes circonstances. L’édition révisée du Good Practice Review 8[11]Koenraad Van Brabant, “Good Practice Review 8. Operational Security Management in Violent Environments”, Londres, Overseas Development Institute, 2010., considérée comme la « bible » par les référents sécurité des ONG, souligne ainsi qu’« au bout du compte, la gestion de la sécurité des opérations dans les zones à haut risque est une obligation à la fois morale et légale[12]Fabrice Weissman et Monique J. Beerli, « Suivez le guide ! Les manuels de sécurité et la mise en ordre autoritaire des organisations humanitaires », in Michaël Neuman et Fabrice Weismann, … Continue reading ».

Notre étude, à l’inverse, visait à mobiliser une autre tradition éthique, celle du care, qui demeure curieusement inexploitée dans la littérature sur l’action humanitaire. Contrairement à la philosophie kantienne, qui fonde les responsabilités humaines dans l’appartenance à une communauté universelle, l’éthique du care souligne les particularismes qui nous obligent les uns et les autres[13]Joan Tronto, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, La Découverte, 2009.. Cette conception relationnelle transforme profondément la manière de concevoir l’action humanitaire en s’intéressant à ce à quoi ressemble la vie morale et non à ce qu’elle devrait être[14]Pascale Molinier, Le travail du care, La Dispute, 2013.. En particulier, les théories du care obligent à être attentif aux réseaux de dépendance et de vulnérabilité au sein desquels et à travers lesquels les normes éthiques émergent. Elles introduisent dès lors une faille dans l’« exceptionnalisme humanitaire[15]Larissa Fast, Aid in Danger…, op.cit. » en renversant la figure de l’humanitaire autonome et indépendant, comme l’a bien démontré Larissa Fast :

« Une approche relationnelle oblige à un examen critique des relations que les acteurs de l’aide créent et négligent, ce qui, en retour, exige de fixer l’attention sur les vulnérabilités internes et pas seulement sur les menaces extérieures, le tout devant faire partie d’une revue complète des causes complexes de la violence à l’encontre des travailleurs de l’aide et de leurs agences.[16]Ibid., p. 8. »

L’auteure se contente cependant de constater l’absence d’une telle approche relationnelle, sans en définir les enjeux éthiques et les implications politiques[17]Róisín Read, “Book review: Aid in Danger: The Perils and Promises of Humanitarianism”, The Journal of Development Studies, vol. 52, n° 5, 2016, p. 753-756 ; Hugo Slim, “Book … Continue reading. L’éthique du care offre à cet égard un angle d’analyse unique pour explorer les conflits et les tensions qui naissent des rapports inégalitaires et stigmatisants entre les acteurs humanitaires et les populations locales.

Des humanitaires et du «petit personnel»

Les humanitaires occupent une position excentrique vis-à-vis du care, dans la mesure où ils en sont à la fois dispensateurs et récipiendaires. En effet, le souci des autres ne concerne pas uniquement les soins apportés aux plus vulnérables (le care humanitaire), mais également les services de confort au bénéfice des privilégiés. Les logiques sont également différentes : d’un côté, l’impossibilité de maintenir son autonomie et, de l’autre, le souhait de s’épargner certaines tâches pour se consacrer à d’autres activités. Les expatriés viennent dispenser des soins aux populations les plus vulnérables. Ils en retirent prestige et reconnaissance. Leur mission est cependant rendue possible par les acteurs locaux (chauffeurs, nounous, cuisinières, staff local, etc.) qui, à leur tour, prennent soin des humanitaires. L’intérêt principal des théories du care consiste alors à montrer en quoi les tâches invisibles ou dévaluées sont indispensables à l’accomplissement des tâches « nobles » du care, qui sont jugées plus légitimes et respectables[18]Joan Tronto, Un monde vulnérable…, op.cit..

Il est difficile pour les humanitaires d’admettre à quel point leur vie professionnelle est dépendante du travail d’autrui. Le reconnaître affecterait non seulement le sentiment qu’ils ont de leur propre autonomie, mais soulignerait également, de façon insupportable, l’inégalité dans le partage des privilèges, dont les expatriés sont les grands gagnants, en dépit de leurs valeurs d’altruisme et de solidarité. Le malaise que suscite la découverte de ses propres privilèges appelle alors une action préventive. Le réflexe consiste à se couper des populations et à préserver un certain entre-soi. D’autres mécanismes sont également à l’œuvre : on gomme le lien hiérarchique avec son chauffeur en imposant le tutoiement ; on développe un rapport d’amitié avec sa femme de ménage en la considérant comme « un membre de la famille », etc. Un processus d’altérisation se met alors en place, qui inverse les relations de dépendance : l’aidant devient l’aidé. Pascale Molinier définit l’indifférence des privilégiés comme :

« Une posture psychologique qui repose sur un dispositif complexe – idéologique mais aussi de ségrégation – qui empêche les privilégiés de penser des dimensions de la réalité qui pourraient venir les embarrasser ou les empêcher de jouir de leurs privilèges ou mettre à mal leur sens de la justice. Il est du plus grand confort d’ignorer qui nous sert et ce qu’il lui en coûte de le faire[19]Pascale Molinier, Le Travail du care…, op.cit., p. 65.. »

La réalité vécue par le « petit personnel » est tout autre. Plus que la situation de précarité, c’est le manque de reconnaissance qui est vécu comme le plus insupportable. Ce qui est en jeu, c’est le caractère intolérable de cette situation de domination qui contribue à renforcer la frustration des populations du Sud, et leur hostilité à l’égard du Nord. Comme l’explique Jock Young, « ce n’est pas simplement l’injustice vécue au niveau des biens matériels et des ressources qui alimente le mécontentement, c’est une combinaison bien plus explosive de pauvreté et d’indignité[20]Jock Young, The Vertigo of Late Modernity, Sage Publications, Londres, 2007, p. 156. ». Si la violence n’en découle pas pour autant, cette combinaison en facilite l’apparition.

Le paternalisme – ou plutôt le maternalisme, en ce qui concerne la relation entre les humanitaires et le « petit personnel » – se retourne contre les humanitaires qui sont, à leur tour, essentialisés dans leurs différences et leurs privilèges. Cette essentialisation, qui découle des inégalités et des stigmatisations répandues entre acteurs humanitaires et populations, ne conduit pas nécessairement à des actes d’agressions directes, mais peut en constituer les prémices.

Pour une criminologie critique de l’action humanitaire

Cette étude jette un nouvel éclairage sur les racines de l’hostilité envers les humanitaires. Au lieu de chercher dans des différences relevant de l’inadaptation au modèle occidental[21]Beverley Mullings, Marion Werner et Linda Peaka, “Fear and Loathing in Haiti: Race and Politics of Humanitarian Dispossession”, ACME: An International Journal for Critical Geographies, vol. 9, … Continue reading, il s’agit d’interroger les rapports inégalitaires et paradoxaux qui se développent entre les humanitaires et les populations locales. De façon empirique, cette étude cherche à rendre compte des processus et facteurs qui facilitent l’essentialisation et le rejet de l’autre. Il s’agissait ensuite de les replacer dans un cadre théorique plus large imprégné de l’éthique du care. En mettant en relief le caractère insupportable de cette relation de domination masquée pour chacune des parties, elle a ouvert un large chantier pour des études plus ciblées et plus approfondies. Car désormais, selon nous, l’analyse de la sécurité humanitaire ne pourra plus faire l’économie des questions d’inégalités.

ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-238-8

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References

References
1 Arnaud Dandoy et Marc-Antoine Pérouse de Montclos, “Humanitarian workers in peril? Deconstructing the myth of the new and growing threat to humanitarian workers”, Global Crime, vol. 14, n° 4, 2013, p. 341-358 ; Larissa Fast, Aid in Danger: The Perils and Promise of Humanitarianism, University of Pennsylvania Press, Philadelphia, PA, 2014.
2 Arnaud Dandoy, « Des humanitaires et de leurs femmes de ménage. L’éthique du care contre l’exceptionnalisme humanitaire », Fonds Croix-Rouge française, Les Papiers du Fonds, octobre 2016, www.fondcrf.org/wp-content/uploads/2017/05/Des-humanitaires-et-de-leurs-femmes-de-m%C3%A9nage-l%E2%80%99%C3%A9thique-du-care-contre-l%E2%80%99exceptionnalisme-humanitaire.pdf
3 Robert W. Cox, “Social Forces, States and World Orders : Beyond International Relations Theory”, Millennium – Journal of International Studies, vol. 10, n° 2, 1981, p. 126-155.
4 Michael Neuman et Fabrice Weissman, Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l’ère de la gestion des risques, CNRS éditions, 2016.
5 Ibid., p. 44.
6 Considérant l’action humanitaire comme un domaine où s’exerce ce que le sociologue Stephen Lyng a nommé edgework (« les pratiques limites ») , Silke Rothe a montré comment les acteurs humanitaires négocient les risques au quotidien : Silke Rothe, « Aid work as edgework – voluntary risk-taking and security in humanitarian assistance, development and human rights work », Journal of Risk Research, vol. 18, n  2, 2015, p. 139-155 ). Paradoxalement, la valorisation individuelle de la prise de risque se développe au sein d’une communauté humanitaire gouvernée par l’obsession sécuritaire du risque zéro. Un angle mort dans l’analyse de Rothe concerne cependant les expériences des employés nationaux, dont la prise de risque découle davantage d’une nécessité économique que d’un besoin d’adrénaline ou de réalisation de soi : Arnaud Dandoy, Humanitarian Insecurity, Risk and Moral Panic: Toward a Critical Criminology of Aid, PhD thesis, University of Kent, 2013; voir aussi Dorothy Nelkin et Michael Brown, Workers At Risk. Voices from the Workplace, The University of Chicago Press, 1984.
7 Mark Duffield, “Risk Management and the Fortified Aid Compound: Every-day life in Post-Interventionary Society”, Journal of Intervention and Statebuilding, vol. 4, 2010, p. 453-474 (p. 459-460 pour cette citation).
8 Dans un article, nous avons mobilisé le concept de « panique morale » (Stanley Cohen, Folk Devils and Moral Panics: The Creation of the Mods and Rockers, Londres, Paladin, 1973) pour, d’une part, décrire la réaction disproportionnée de la communauté humanitaire face à la menace et, d’autre part, en situer les racines dans un contexte historique et social plus large : Arnaud Dandoy, “Towards a Bourdieusian frame of moral panic analysis : The history of a moral panic inside the field of humanitarian aid”, Theoretical Criminology, vol. 19, n° 3, p. 416-433). Aujourd’hui, ce concept a perdu de sa signification sociologique pour ne devenir qu’une simple étiquette collée à une réaction jugée irrationnelle ou excessive. Or, la réaction de la communauté humanitaire doit se comprendre au regard des bouleversements de l’après-guerre froide et aux contradictions qui ont déchiré le champ humanitaire au cours des deux dernières décennies. Elle est proportionnée à cet égard.
9 Craig Calhoun, “The Imperative to Reduce Suffering: Charity, Progress, and Emergencies in the Field of Humanitarian Action”, in Michael Barnett et Thomas G. Weiss, Humanitarianism in question: Politics, Power, Ethics, Ithaca, Cornell University, 2008, p 73-97; Didier Fassin, La raison humanitaire: une histoire morale du temps présent, éditions EHESS, 2010.
10 Michael Barnett, Empire of Humanity: A History of Humanitarianism, Ithaca, N.Y., Cornell University Press, 2011.
11 Koenraad Van Brabant, “Good Practice Review 8. Operational Security Management in Violent Environments”, Londres, Overseas Development Institute, 2010.
12 Fabrice Weissman et Monique J. Beerli, « Suivez le guide ! Les manuels de sécurité et la mise en ordre autoritaire des organisations humanitaires », in Michaël Neuman et Fabrice Weismann, Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l’heure de la gestion des risques, CNRS Éditions, 2016, p. 138.
13 Joan Tronto, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, La Découverte, 2009.
14 Pascale Molinier, Le travail du care, La Dispute, 2013.
15 Larissa Fast, Aid in Danger…, op.cit.
16 Ibid., p. 8.
17 Róisín Read, “Book review: Aid in Danger: The Perils and Promises of Humanitarianism”, The Journal of Development Studies, vol. 52, n° 5, 2016, p. 753-756 ; Hugo Slim, “Book review: Aid in Danger: The Perils and Promises of Humanitarianism”, International Affairs, vol. 91, n° 3, 2015, p. 629-631.
18 Joan Tronto, Un monde vulnérable…, op.cit.
19 Pascale Molinier, Le Travail du care…, op.cit., p. 65.
20 Jock Young, The Vertigo of Late Modernity, Sage Publications, Londres, 2007, p. 156.
21 Beverley Mullings, Marion Werner et Linda Peaka, “Fear and Loathing in Haiti: Race and Politics of Humanitarian Dispossession”, ACME: An International Journal for Critical Geographies, vol. 9, n° 3, 2010.

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