Les nouveaux défis en contexte de violences urbaines

Oscar Felipe Chavez Aguirre
Oscar Felipe Chavez AguirreTitulaire d’un master d’études avancées en action humanitaire et d’une licence en action sociale. Il a également suivi des études supérieures sur le droit international humanitaire et les droits de l’Homme. Il porte un intérêt tout particulier à l’anthropologie culturelle et à l’avenir de l’action humanitaire. Ces dix dernières années, Oscar a acquis une solide expérience en occupant diverses fonctions au sein du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), notamment celles de chef adjoint de la sous-délégation et du bureau en Colombie et de délégué à la protection en Afghanistan. Il travaille actuellement en tant que coordinateur de terrain pour le CICR au Mexique.

Les contextes d’intervention des humanitaires changent. Entre les conflits d’empires se réglant sur les champs de bataille et les guerres asymétriques où se mêlent États fragiles, rébellions et mercenaires, on a vu se développer les violences urbaines faisant intervenir des milices paramilitaires, des gangs et autres groupes armés. Comment l’action humanitaire peut-elle se déployer dans de tels contextes ?

Depuis une dizaine d’années, les acteurs humanitaires font montre d’un intérêt croissant pour les violences urbaines, comme l’atteste leur présence accrue dans les milieux urbains et le niveau élevé de protection et d’assistance fourni aux victimes de ces violences[1]Simon Reid-Henry et Ole Jacob Sending, “The ‘humanitarization’ of urban violence”, Environment and Urbanization, vol. 26, n° 2, 2014, p. 427-442, … Continue reading. Deux raisons principales expliquent l’intérêt des humanitaires. Premièrement, du fait de la complexité du milieu urbain, les conséquences humanitaires de la violence urbaine sont aussi graves, sinon plus, que celles d’un conflit armé non international traditionnel. Ainsi, en 2014, 95 640 personnes ont perdu la vie dans des situations de violence telles que la guérilla urbaine[2]Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Rapport mondial sur les drogues 2014, Nations unies, http://www.unodc.org/documents/wdr2014/WDR_2014_French.pdf au Mexique, au Brésil, au Venezuela et au Salvador. Elizabeth Ferris souligne qu’il devient de plus en plus difficile de faire la distinction entre la violence urbaine et les conflits armés traditionnels, tant la frontière entre les deux devient floue[3]Elizabeth G. Ferris, The Politics of Protection. The Limits of Humanitarian Action, Brookings Institution Press, 2011, p. 246-255.. Deuxièmement, la spectaculaire urbanisation globale a eu des effets majeurs dans le monde. Alors que 54 % de la population mondiale vit désormais en milieu urbain, il est plus que probable que les guerres se dérouleront dans les villes[4]Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Rapport mondial sur les drogues 2014…, op. cit.. Dans certaines régions, l’urbanisation rampante dépasse les capacités des pouvoirs publics à intervenir et à assurer la protection des populations touchées par cette violence[5]Étienne G. Krug, Linda L. Dahlberg, James A. Mercy, Anthony Zwi et Rafael Lozano-Ascencio (dir.), Rapport mondial sur la violence et la santé, Organisation mondiale de la santé, 2002, … Continue reading.

Des guerres nouvelles?

Les humanitaires ont toujours établi une distinction claire entre guérilla urbaine et violence urbaine. Cependant, des universitaires comme Mary Kaldor[6]Mary Kaldor, New and Old Wars: Organized Violence in a Global Era, Stanford University Press, 2012. indiquent que cette distinction n’est pas si facile à définir et ont développé la notion de « guerres nouvelles » pour tenter de définir les manifestions contemporaines de la violence armée à travers le monde. Les guerres nouvelles ne reposent plus tant sur des motivations politiques que sur des facteurs économiques, culturels et sociaux. Elles sont menées par différents groupes tels que des milices informelles, des gangs ou des groupes armés urbains, qui trouvent leur origine dans la fragmentation de la société et l’exclusion sociale. Kees Koonings affirme que les guerres nouvelles se caractérisent par « des flux transnationaux (illicites) de marchandises et de personnes, et de nouvelles identités combattantes urbaines[7]Kees Koonings, “New violence, insecurity, and the State: Comparative reflections on Latin America and Mexico”, in Wil. G. Pansters (dir.), Violence, Coercion, and State-Making in … Continue reading ». En ce sens, on peut définir la violence urbaine comme une forme de guérilla urbaine[8]Alberto Concha-Eastman, “Urban violence in Latin America and the Caribbean: dimensions, explanations, actions”, in Susana Rotker (dir.), Citizens of Fear: Urban Violence in Latin America, Rutgers … Continue reading.

Quels sont donc les nouveaux défis liés à la dynamique de la violence urbaine qui influencent les activités de protection menées par les acteurs humanitaires ? Et dans ce contexte, en quoi leurs stratégies doivent-elles s’adapter pour assurer une protection efficace des populations urbaines ?

Pour répondre à ces questions, il faut comprendre que le milieu urbain est un environnement extrêmement complexe, aux multiples facettes (niveaux de développement asymétriques, stress lié aux mouvements de populations, densité, diversité, urbanisation à grande échelle, etc.), qui déterminent la vulnérabilité de sa population[9]Comité international de la Croix-Rouge, Urban services during protracted armed conflict: a call for a better approach to assisting affected people, CICR, 2015, p. 13-18, … Continue reading. Par exemple, à l’heure où trois milliards de personnes vivent en ville, la vulnérabilité des populations urbaines a augmenté, entraînant une hausse des besoins humanitaires liés à l’insécurité et aux niveaux élevés de violence[10]Elizabeth G. Ferris, The politics of protection…, op. cit. ; Comité international de la Croix-Rouge, Urban services…, op. cit. ; Raimond Duijsens, “Humanitarian challenges of … Continue reading. Fuentes reconnaît que la violence urbaine inclut différents comportements violents survenant en milieu urbain, qui correspondent chacun à une expérience différente de la violence[11]Carlos Fuentes, “Silent wars in our cities: Alternatives to the Inadequacy of International Humanitarian Law to Protect Civilians during Endemic Urban Violence”, in Benjamin Perrin (dir.), Modern … Continue reading. Il n’existe pas de lien direct entre la taille d’une ville et l’intensité de la violence. Certaines petites villes secondaires présentent en effet un niveau élevé de violence. Pour Koonings, la violence urbaine n’est pas seulement le résultat de l’urbanisation des conflits armés, mais la conséquence de facteurs socio-économiques dans le cadre d’une situation qui s’éternise[12]Kees Koonings, “New violence…”, art. cit.. Fréquemment, « les factions armées urbaines cherchent à exploiter des opportunités économiques souvent illicites et à contrôler l’espace physique et social de la ville[13]Idem. ». La violence urbaine se caractérise donc aujourd’hui par des groupes armés qui défient le pouvoir de l’État dans son contrôle légitime, le monopole du territoire et l’usage de la force[14]Voir Thomas Hobbes, Léviathan, Folio Essais, 2000.. Lorsque l’État ne parvient pas à fournir les services publics de base dans les domaines de la santé et de la sécurité, les conséquences sont dramatiques pour les populations urbaines.

Les différences de modalités orientant la riposte des acteurs humanitaires proviennent de l’absence de méthode ou de cadre/doctrine standard en la matière. L’approche, la justification et la riposte diffèrent donc d’une organisation humanitaire à l’autre[15]Simon Reid-Henry et Ole Jacob Sending, “The ‘humanitarization’…”, art. cit..

Dynamique des activités de protection contre la violence urbaine

Les activités de protection humanitaire déployées en milieu urbain sont complexes et peuvent être mises en œuvre directement ou intégrées dans le cadre de ripostes multisectorielles. Par exemple, au Mexique, elles englobent toute une série d’actions corrélées, qui vont de l’aide juridique à des activités communautaires telles que l’insertion sociale, l’éducation, le plaidoyer ou les programmes de transformation[16]François Grünewald, Béatrice Boyer, Domitille Kauffmann et Julie Patinet, Humanitarian aid in urban settings: current practice, future challenges, Groupe URD, décembre 2011, … Continue reading.

Dans les milieux urbains de certaines villes d’Amérique latine, la question de la protection n’a pas de limites claires et présente de multiples interconnexions, notamment entre l’urgence et le développement, mais également entre les approches, la protection et l’assistance fondées sur les droits et les besoins, parfois toutes sous-tendues par la pauvreté[17]Elizabeth G. Ferris, “Ten observations on the challenge of humanitarian work in urban settings”, Brookings, 2011, … Continue reading. Cependant, de par leur nature, les organisations humanitaires ne disposent que très rarement du mandat et/ou des ressources nécessaires pour faire face aux problèmes de développement, structurels et chroniques[18]Idem.. De nombreux spécialistes estiment qu’en raison des spécificités du milieu urbain, les acteurs humanitaires doivent s’adapter et mettre en œuvre des modalités et des stratégies nouvelles et spécifiques pour répondre à la problématique de la protection contre la violence urbaine[19]Donald Brown, Camillo Boano, Cassidy Johnson, Janani Vivekananda et Julian Walker, Urban crises and humanitarian responses: a literature review, University College London, avril 2015, p. 18., tout en intégrant l’expérience acquise dans les zones de conflit.

Les caractéristiques de la violence urbaine soulèvent des questions spécifiques liées à la protection, qui sont plus difficiles à résoudre qu’en milieu rural. L’accès aux victimes, la mobilité de la population ayant besoin de protection, la multiplicité et la diversité des acteurs urbains génèrent par exemple des difficultés spécifiques pour les organisations humanitaires[20]Ibid., p. 23.. Ces caractéristiques remettent en cause la conception de la protection, les modalités et les outils que les acteurs humanitaires mettent en œuvre dans le cadre des conflits armés traditionnels[21]Elizabeth G. Ferris, The Politics of Protection…, op. cit..

Défis liés aux activités de protection contre la violence urbaine

Pour les besoins du présent article, les défis liés aux activités de protection sont classés comme suit : évaluation, sécurité, coordination, questions juridiques et ressources humaines. 

Évaluation

Les milieux urbains violents génèrent tout d’abord des difficultés en matière de collecte de données fiables, du fait de la complexité de ces milieux, qui se caractérisent par une densité et une mobilité élevées de la population[22]François Grünewald et al., Humanitarian aid in urban settings…, op. cit.. Dans ce domaine, les vulnérabilités sont corrélées et se chevauchent. Au cours des évaluations, les acteurs humanitaires sont confrontés à la difficulté de parvenir à évaluer des systèmes urbains variables, qui comportent plusieurs niveaux[23]Elena Lucchi, “Humanitarian interventions in situations of urban violence”, ALNAP Lessons Paper, Londres, 2014, p. 13-15, http://www.alnap.org/resource/9810.

Ensuite, il est souvent difficile de faire la distinction entre les bénéficiaires potentiels et le reste de la population, car il n’est pas toujours facile de déterminer qui a besoin d’une protection humanitaire contre la violence urbaine et qui vit dans des conditions de pauvreté[24]Elizabeth G. Ferris, “Ten observations…”, art. cit. ; Elizabeth G. Ferris, The Politics of Protection…, op. cit.. De plus, l’hétérogénéité de la population, la densité urbaine et la dispersion des personnes ayant besoin de protection compliquent encore le ciblage[25]ONU-Habitat, Relever les défis humanitaires en milieu urbain, 2011, http://www.fmreview.org/sites/fmr/files/FMRdownloads/fr/deplaces-en-milieu-urbain/05-07.pdf. Certaines victimes souhaitent rester anonymes afin d’éviter la stigmatisation ou des problèmes de sécurité[26]Idem et entretien avec le référent du CICR chargé de la jeunesse et de la violence urbaine, juillet 2016.. En outre, il est difficile de faire la distinction entre les victimes et les auteurs d’actes de violence, car ils vivent dans les mêmes conditions sociales, parfois dans les mêmes quartiers de la ville, voire à proximité immédiate[27]Athena R. Kolbe, “Revisiting Haiti’s gangs and organized violence”, HiCN, document de travail, n° 147, juin 2013, http://www.hicn.org/wordpress/wp-content/uploads/2012/06/HiCN-WP-147.pdf.

Non seulement les victimes urbaines (migrants, déplacés internes, populations urbaines…) se déplacent, mais elles sont moins visibles en raison de la densité et de la diversité des milieux, si bien qu’il est plus difficile d’accéder à elles. La « loi du silence » règne en outre dans certaines zones urbaines, notamment au Mexique, où les personnes ayant besoin d’aide refusent de s’exprimer, par peur de représailles, les victimes et les auteurs d’actes de violence vivant souvent côte à côte[28]Entretien avec le référent du CICR chargé de la jeunesse et de la violence urbaine, juillet 2016..

Sécurité

Les organisations humanitaires sont plus exposées à la criminalité et aux gangs[29]Elizabeth G. Ferris, The Politics of Protection…, op. cit., p. 252.. Dans le même temps, les groupes armés urbains et les individus ont du mal à croire que les acteurs humanitaires sont à la fois neutres et indépendants[30]Conférence du CICR, « Urban violence: what role for traditional humanitarianism? », un événement organisé conjointement par le Comité international de la Croix-Rouge et le All Party … Continue reading. En outre, dans la mesure où les humanitaires sont parfois moins connus que les factions armées urbaines, la population peut se montrer méfiante, voire ne pas comprendre leur rôle ou les principes humanitaires qu’ils défendent. À l’inverse, les acteurs humanitaires habitués aux situations ayant un fort caractère politique peuvent être moins à même d’appréhender une situation reposant sur d’autres motivations, ce qui peut les exposer à un risque accru de confusion et d’attaques[31] Idem..

Les desseins criminels des gangs rendent tout contact difficile et constituent sans conteste un enjeu de sécurité pour les acteurs humanitaires. Le milieu urbain brouille les frontières entre les communautés et les factions armées. Certaines méthodes relatives à la sécurité dans le cadre de conflits armés traditionnels, notamment la doctrine du CICR, restent cependant valides et peuvent être appliquées aux milieux urbains violents. Il est toutefois important d’adapter les modalités[32]Entretien avec le référent du CICR chargé de la jeunesse et de la violence urbaine, juillet  2016..

Le dialogue avec les factions armées et les groupes criminels est donc particulièrement difficile. Les gangs présentent en effet des caractéristiques, des modes opératoires et des méthodes de guérilla particuliers[33]Athena R. Kolbe, “Revisiting Haiti’s gangs…”, art. cit., p. 4.. Il est difficile d’appréhender la complexité de ces factions, notamment en raison de la diversité des groupes, de l’absence de séparation nette avec le reste de la population et de la multiplicité des motivations (activités illicites, commerciales, politiques, sociales, culturelles)[34]Elizabeth G. Ferris, “Ten observations…”, art. cit.. Les organisations humanitaires doivent également collaborer avec un grand nombre de forces gouvernementales afin de proposer des programmes de protection aux populations et de maintenir le sentiment de neutralité.

Coordination avec les autres prestataires de protection

Les milieux urbains pourraient bénéficier d’une plus forte présence et d’une plus grande diversité d’acteurs et d’institutions aux niveaux local, national et international[35]Comité international de la Croix-Rouge, Urban services during protracted armed conflict…, op. cit.. Les organisations humanitaires rencontrent des difficultés pour coordonner leurs activités avec celles des acteurs urbains, éviter les doublons et proposer une intervention cohérente en matière de protection[36]Entretien avec Marc Bosch, chargé de programme pour l’Amérique latine, la Colombie, le Venezuela et la Bolivie, Médecins Sans Frontières – OCBA, juillet  2016.. L’une des difficultés majeures réside également dans le fait de travailler avec toute une série d’institutions publiques, non seulement parce qu’elles ne connaissent pas forcément le travail humanitaire, mais parce qu’une telle collaboration peut compromettre les principes de neutralité et d’indépendance[37]Idem..

Cependant, une coordination précise avec les acteurs institutionnels n’est pas toujours possible et le manque de coordination a parfois des effets négatifs sur la capacité des institutions publiques à jouer le rôle de chef de file des activités de protection[38]ONU-Habitat, Relever les défis humanitaires…, op. cit..

Légalité

Dans les situations de violence urbaine, les cadres juridiques sont plus controversés[39]François Grünewald et al., Humanitarian aid in urban settings…, op. cit.. L’un des défis consiste à mener une analyse et une évaluation juridiques afin d’appliquer le cadre adéquat. Il s’agit dans la plupart des cas du droit international relatif aux droits de l’Homme et de la législation nationale. Cette situation fait apparaître des défis : « les acteurs humanitaires sont moins aptes à négocier en ce qui concerne les questions nationales[40]Elena Lucchi, “ Humanitarian interventions…”, art. cit », si bien qu’ils devraient mieux comprendre les cadres, mécanismes et systèmes nationaux pour mettre en œuvre des activités de protection[41]François Grünewald et al., Humanitarian aid in urban settings…, op. cit.. Néanmoins, il y a actuellement débat pour savoir si la situation de violence urbaine dans certains milieux remplit les critères permettant de la considérer comme un conflit armé non international (CANI), ce qui signifierait que le droit international humanitaire (DIH) s’appliquerait. En attendant, les acteurs humanitaires sont incapables de clarifier certaines obligations juridiques des groupes armés comme la distinction entre ceux qui sont directement impliqués dans les violences et ceux qui ne le sont pas[42]Sebastián Albuja, “Criminal violence and displacement in Mexico”, Forced Migrations Review, n° 45, février 2014, p. 28-3.1. Ce débat a suscité différents arguments sur l’intensité de la violence, la sophistication et l’organisation des groupes armés, ainsi que les méthodes de guérilla utilisées.

En outre, il existe des problèmes juridiques liés à la protection des migrants et des personnes fuyant la violence criminelle. Albuja affirme que « les normes et pratiques existantes ne répondent pas totalement à la complexité de la mobilité humaine dans les situations de violence criminelle intense[43]Idem. ». Bien que de nouvelles interprétations du droit des réfugiés puissent offrir une protection plus large aux personnes fuyant la violence urbaine, dans les faits la loi est rarement appliquée. En outre, même lorsque des lois nationales sont spécifiquement élaborées pour protéger les personnes fuyant la violence criminelle, l’impact des nouvelles mesures juridiques reste insuffisant[44]Idem.. La complémentarité du droit des réfugiés et du droit international relatif aux droits de l’Homme[45]Pierre Apraxine, Anne Duquenne, Sabine Fetta et Damien Helly (éd.), Urban violence and humanitarian challenges, Institut d’études de sécurité de l’Union européenne (IESUE) et Comité … Continue reading reste limitée, tandis que l’accès et la promotion des droits fondamentaux des migrants en transit doivent être davantage développés. De plus, le climat politique qui prévaut dans de nombreux pays crée une résistance aux mesures de protection des demandeurs d’asile fuyant la violence criminelle[46]Sebastián Albuja, “Criminal violence…”, art. cit.. La responsabilité de la protection des populations urbaines incombe de surcroît à l’État, qui est l’un des principaux acteurs dans ce domaine[47]Elizabeth G. Ferris, The Politics of Protection…, op. cit. ; Pierre Gentile, “Humanitarian organizations involved in protection activities: a story of soul-searching and … Continue reading. De ce fait, si les États n’ont pas la volonté politique de mettre en œuvre des mécanismes de protection, la tâche des acteurs humanitaires devient plus ardue.

Ressources humaines

Le recours à de courtes missions ne laisse pas suffisamment de temps au personnel international humanitaire pour comprendre les tenants et les aboutissants de la violence urbaine, établir de bonnes relations avec les communautés, les factions armées et les autres parties prenantes. Le développement des compétences du personnel demande beaucoup de temps et de ressources, alors mme que la crédibilité d’une organisation dépend de sa capacité à favoriser la confiance et le dialogue avec les différents acteurs[48]Elena Lucchi, “Humanitarian interventions…”, art. cit., p. 9.. Il existe une pénurie de candidats fortement motivés, disposant de l’expérience nécessaire pour travailler dans ce domaine et relever les défis.

Recommandations

Nos recommandations suivent la classification précédemment établie.

Évaluation

Étant donné la nature complexe de la situation, il est recommandé de mener une analyse intégrant les racines de la violence urbaine, la multiplicité des acteurs et leurs motivations. La collecte de données ne doit pas se limiter aux taux d’homicides, mais inclure des enquêtes de référence sur les questions liées à la protection. De plus, il est fortement recommandé d’impliquer les communautés dans les évaluations et de mettre au point une approche ascendante[49]Entretien avec le référent du CICR chargé de la jeunesse et de la violence urbaine, juillet 2016..

Sécurité

Il est essentiel de mener une évaluation des risques et des conditions de sécurité avant toute intervention de lutte contre la violence, mais également d’impliquer les organisations locales et nationales. Cela permet de comprendre la dynamique spécifique de la ville et les stratégies à utiliser pour collaborer avec les groupes armés, ce qui peut être fait de manière directe ou indirecte. Comme dans d’autres situations, il est important d’impliquer les communautés, d’établir des relations de confiance et de mettre en œuvre une approche communautaire, tout en travaillant avec les organisations et institutions locales. Cela doit aller de pair avec des formations et la diffusion des principes humanitaires, qui font partie d’un discours spécifique et de stratégies de communication visant à promouvoir et défendre les principes humanitaires dans les milieux urbains violents. Les tiers (communautés et autres interlocuteurs) peuvent transmettre des messages et discuter de garanties de sécurité pour aider et protéger les populations.

Coordination avec les autres prestataires de protection

Une réponse appropriée à la problématique de la violence urbaine consiste à coordonner les efforts et à travailler avec les partenaires locaux afin de créer des réseaux regroupant plusieurs organisations issues des secteurs public et privé. Les partenaires doivent être sélectionnés avec soin, car ils ne sont pas tous bien perçus ni respectés, et ne connaissent pas forcément les principes humanitaires[50]Elena Lucchi, “Humanitarian interventions…”, art. cit.. Une matrice des parties prenantes peut permettre d’identifier les partenaires pertinents.

En milieu urbain, la protection doit être intégrée dans la stratégie et la riposte doit être multisectorielle, regroupant des acteurs pertinents issus de différents secteurs de la communauté, susceptibles d’influencer les comportements et de promouvoir le changement. Cette collaboration multisectorielle doit être intégrée dans toutes les phases du cycle de gestion du programme, de l’évaluation à la mise en œuvre et au suivi[51]Entretien avec le référent du CICR chargé de la jeunesse et de la violence urbaine, juillet 2016.. Il est également important, là aussi, de favoriser la protection communautaire et donc d’impliquer les communautés hôtes. Les humanitaires ont pu étendre leur champ d’action en soutenant les réseaux sociaux et communautaires, notamment par l’intermédiaire de petits entrepreneurs ou d’organisations confessionnelles[52]Entretien avec le HCR, juillet  2016..

Par ailleurs, dans le cadre de la protection des migrants et des réfugiés dans les milieux urbains violents, il est encore plus crucial d’impliquer la communauté hôte et de mettre au point des initiatives qui profitent non seulement aux nouveaux arrivants, mais également à la population locale[53]Idem..

Légalité

Les modalités du projet doivent inclure le plaidoyer et un programme de transformation afin d’influencer les politiques urbaines[54]Entretien avec le chargé de programme pour l’Amérique latine, la Colombie, le Venezuela et la Bolivie, Médecins Sans Frontières – OCBA, juillet  2016.. L’un des principaux défis identifiés est l’application de la législation pour protéger les personnes. Les organisations humanitaires peuvent s’attacher à renforcer les capacités nationales en vue d’une mise en œuvre appropriée des lois. Dans la mesure où il faut bien connaître la législation nationale pour intervenir dans les grands centres, il peut être utile de former les délégués (personnel mobile) dans ce domaine. Dans la plupart des milieux urbains violents, le droit international relatif aux droits de l’Homme prévaut. La promotion des droits de l’Homme et le dialogue avec les autorités dans ce domaine sont donc indispensables à la protection des victimes.

Ressources humaines

Il est recommandé d’avoir recours à des missions d’une durée supérieure à 18 mois, car il faut du temps pour comprendre le contexte, établir des relations de confiance avec les interlocuteurs, cultiver ces relations et asseoir le positionnement institutionnel. D’une manière générale, il est préférable d’envisager une approche à moyen/long terme, sur au moins cinq ans. Une protection efficace contre la violence urbaine demande beaucoup de connaissances, de temps et de ressources, car il s’agit d’une problématique qui a des racines sociales et structurelles[55]Idem.. Pour lutter contre ces problèmes, les organisations doivent mettre au point des interventions allant au-delà de l’urgence pure[56]Elena Lucchi, “Humanitarian interventions…”, art. cit..

Le personnel humanitaire doit en outre être formé à la prise en charge des questions urbaines. Les organisations doivent également identifier des stratégies permettant de transmettre les enseignements au nouveau personnel. Enfin, les organisations humanitaires doivent établir des directives et politiques relatives à la lutte contre cette violence particulière.

Cet article s’est attaché à démontrer que la compréhension de la dynamique et des défis liés aux activités de protection dans le contexte complexe des milieux urbains violents devrait permettre à la communauté humanitaire de s’adapter et de mettre en œuvre des mesures opérationnelles permettant d’assurer la protection des populations et de faire face aux réalités de la violence d’aujourd’hui.

Il faudra cependant mener des recherches supplémentaires sur les solutions opérationnelles aux défis posés aux humanitaires dans les milieux urbains violents et une analyse approfondie des enjeux juridiques et éthiques pour mieux comprendre le rôle nouveau des organisations humanitaires travaillant dans ce domaine et leurs besoins d’adaptation. Par ailleurs, il pourrait être intéressant de savoir ce que différents acteurs de la communauté urbaine pensent du travail des organisations humanitaires dans ces milieux afin d’améliorer les stratégies de protection qui envisagent les populations comme des acteurs de leur propre protection. Le renforcement de leurs capacités demeurera en effet une mission essentielle des acteurs humanitaires comme nationaux.

Traduit de l’anglais par Sophie Jeangeorges

ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-300-2

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References

References
1 Simon Reid-Henry et Ole Jacob Sending, “The ‘humanitarization’ of urban violence”, Environment and Urbanization, vol. 26, n° 2, 2014, p. 427-442, http://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/0956247814544616 ; Marion Harroff-Tavel, « Violence et action humanitaire en milieu urbain. Nouveaux défis, nouvelles approches », Revue internationale de la Croix-Rouge, vol. 92, n° 878, 2010, p. 329-350, http://www.icrc.org/fre/assets/files/other/irrc-878-harroff-tavel-fre.pdf
2 Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Rapport mondial sur les drogues 2014, Nations unies, http://www.unodc.org/documents/wdr2014/WDR_2014_French.pdf
3 Elizabeth G. Ferris, The Politics of Protection. The Limits of Humanitarian Action, Brookings Institution Press, 2011, p. 246-255.
4 Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Rapport mondial sur les drogues 2014…, op. cit.
5 Étienne G. Krug, Linda L. Dahlberg, James A. Mercy, Anthony Zwi et Rafael Lozano-Ascencio (dir.), Rapport mondial sur la violence et la santé, Organisation mondiale de la santé, 2002, p. 3-19, http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/42545/1/9242545619_fre.pdf
6 Mary Kaldor, New and Old Wars: Organized Violence in a Global Era, Stanford University Press, 2012.
7 Kees Koonings, “New violence, insecurity, and the State: Comparative reflections on Latin America and Mexico”, in Wil. G. Pansters (dir.), Violence, Coercion, and State-Making in Twentieth-Century Mexico. The Other Half of the Centaur, Stanford University Press, 2012, p. 255-278.
8 Alberto Concha-Eastman, “Urban violence in Latin America and the Caribbean: dimensions, explanations, actions”, in Susana Rotker (dir.), Citizens of Fear: Urban Violence in Latin America, Rutgers University Press, 2002, p. 37-54.
9 Comité international de la Croix-Rouge, Urban services during protracted armed conflict: a call for a better approach to assisting affected people, CICR, 2015, p. 13-18, www.icrc.org/sites/default/files/topic/file_plus_list/4249_urban_services_during_protracted_armed_conflict.pdf
10 Elizabeth G. Ferris, The politics of protection…, op. cit. ; Comité international de la Croix-Rouge, Urban services…, op. cit. ; Raimond Duijsens, “Humanitarian challenges of urbanization”, Revue internationale de la Croix-Rouge, vol. 92, n° 878, 2010, p. 351-368, www.icrc.org/eng/assets/files/other/irrc-878-duijsens.pdf
11 Carlos Fuentes, “Silent wars in our cities: Alternatives to the Inadequacy of International Humanitarian Law to Protect Civilians during Endemic Urban Violence”, in Benjamin Perrin (dir.), Modern Warfare: Armed Groups, Private Militaries, Humanitarian Organizations, and the Law, UBC Press, 2012, p. 288.
12 Kees Koonings, “New violence…”, art. cit.
13 Idem.
14 Voir Thomas Hobbes, Léviathan, Folio Essais, 2000.
15 Simon Reid-Henry et Ole Jacob Sending, “The ‘humanitarization’…”, art. cit.
16 François Grünewald, Béatrice Boyer, Domitille Kauffmann et Julie Patinet, Humanitarian aid in urban settings: current practice, future challenges, Groupe URD, décembre 2011, www.alnap.org/resource/7853.aspx et entretiens avec MSF, le CICR et le HCR, 2016.
17 Elizabeth G. Ferris, “Ten observations on the challenge of humanitarian work in urban settings”, Brookings, 2011, http://www.brookings.edu/opinions/ten-observations-on-the-challenges-of-humanitarian-work-in-urban-settings/
18 Idem.
19 Donald Brown, Camillo Boano, Cassidy Johnson, Janani Vivekananda et Julian Walker, Urban crises and humanitarian responses: a literature review, University College London, avril 2015, p. 18.
20 Ibid., p. 23.
21 Elizabeth G. Ferris, The Politics of Protection…, op. cit.
22 François Grünewald et al., Humanitarian aid in urban settings…, op. cit.
23 Elena Lucchi, “Humanitarian interventions in situations of urban violence”, ALNAP Lessons Paper, Londres, 2014, p. 13-15, http://www.alnap.org/resource/9810
24 Elizabeth G. Ferris, “Ten observations…”, art. cit. ; Elizabeth G. Ferris, The Politics of Protection…, op. cit.
25 ONU-Habitat, Relever les défis humanitaires en milieu urbain, 2011, http://www.fmreview.org/sites/fmr/files/FMRdownloads/fr/deplaces-en-milieu-urbain/05-07.pdf
26 Idem et entretien avec le référent du CICR chargé de la jeunesse et de la violence urbaine, juillet 2016.
27 Athena R. Kolbe, “Revisiting Haiti’s gangs and organized violence”, HiCN, document de travail, n° 147, juin 2013, http://www.hicn.org/wordpress/wp-content/uploads/2012/06/HiCN-WP-147.pdf
28 Entretien avec le référent du CICR chargé de la jeunesse et de la violence urbaine, juillet 2016.
29 Elizabeth G. Ferris, The Politics of Protection…, op. cit., p. 252.
30 Conférence du CICR, « Urban violence: what role for traditional humanitarianism? », un événement organisé conjointement par le Comité international de la Croix-Rouge et le All Party Parliamentary Group on Conflict Issues, 2013, www.icrc.org/eng/assets/files/2013/urban-violence-summary-report.pdf
31 Idem.
32 Entretien avec le référent du CICR chargé de la jeunesse et de la violence urbaine, juillet  2016.
33 Athena R. Kolbe, “Revisiting Haiti’s gangs…”, art. cit., p. 4.
34 Elizabeth G. Ferris, “Ten observations…”, art. cit.
35 Comité international de la Croix-Rouge, Urban services during protracted armed conflict…, op. cit.
36 Entretien avec Marc Bosch, chargé de programme pour l’Amérique latine, la Colombie, le Venezuela et la Bolivie, Médecins Sans Frontières – OCBA, juillet  2016.
37 Idem.
38 ONU-Habitat, Relever les défis humanitaires…, op. cit.
39 François Grünewald et al., Humanitarian aid in urban settings…, op. cit.
40 Elena Lucchi, “ Humanitarian interventions…”, art. cit
41 François Grünewald et al., Humanitarian aid in urban settings…, op. cit.
42 Sebastián Albuja, “Criminal violence and displacement in Mexico”, Forced Migrations Review, n° 45, février 2014, p. 28-3.1
43 Idem.
44 Idem.
45 Pierre Apraxine, Anne Duquenne, Sabine Fetta et Damien Helly (éd.), Urban violence and humanitarian challenges, Institut d’études de sécurité de l’Union européenne (IESUE) et Comité international de la Croix-Rouge, rapport conjoint sur le colloque IESUE-CICR, Bruxelles, 19 janvier 2012.
46 Sebastián Albuja, “Criminal violence…”, art. cit.
47 Elizabeth G. Ferris, The Politics of Protection…, op. cit. ; Pierre Gentile, “Humanitarian organizations involved in protection activities: a story of soul-searching and professionalization”, Revue internationale de la Croix-Rouge, vol. 93, n° 884, 2011, p. 1165-1191, www.icrc.org/eng/assets/files/review/2011/irrc-884-gentile.pdf
48 Elena Lucchi, “Humanitarian interventions…”, art. cit., p. 9.
49 Entretien avec le référent du CICR chargé de la jeunesse et de la violence urbaine, juillet 2016.
50 Elena Lucchi, “Humanitarian interventions…”, art. cit.
51 Entretien avec le référent du CICR chargé de la jeunesse et de la violence urbaine, juillet 2016.
52 Entretien avec le HCR, juillet  2016.
53 Idem.
54 Entretien avec le chargé de programme pour l’Amérique latine, la Colombie, le Venezuela et la Bolivie, Médecins Sans Frontières – OCBA, juillet  2016.
55 Idem.
56 Elena Lucchi, “Humanitarian interventions…”, art. cit.

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