L’utilisation de la recherche par les ONG : un appel à actions et à réflexions

Christian Dagenais
Christian DagenaisProfesseur titulaire au département de psychologie de l’université de Montréal. Il est spécialiste de l’évaluation des mécanismes de transfert des connaissances (TC). Depuis 2008, il est à la tête de l’équipe RENARD, investie dans la recherche sur le TC dans le domaine social. Il a dirigé de nombreuses études sur le TC issues de la recherche en éducation, santé, développement international au Québec et à l’étranger. Il possède une expertise dans le développement et la mise en œuvre d’initiatives de courtage de connaissances.
Solange Dabiré
Solange DabiréTitulaire d’un master en Population et Santé et d’une maîtrise en sociologie de l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, Solange Dabiré est chargée de recherche et courtière de connaissances en santé au sein de l’association AGIR (Action, Gouvernance, Intégration, Renforcement). Elle a assuré pendant plus de dix ans la coordination de programmes de promotion de la santé, de protection sociale des femmes et de soutien aux personnes vulnérables au sein d’ONG et d’associations (IPC/BF, Voix de Femmes).
Valéry Ridde
Valéry RiddeDirecteur de recherche au Centre Population et Développement (Ceped, www.ceped.org), une Unité mixte de recherche associant l’Université de Paris et l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Il est rédacteur adjoint de la revue BMJ Global Health. Ses travaux de recherche portent sur la couverture universelle en santé, les systèmes de santé, l’évaluation, les politiques publiques de santé et le transfert des connaissances.

Les auteurs rappellent l’importance de tenir compte des résultats de recherche pour les interventions des ONG et montrent les défis techniques et politiques que cela pose. Ils suggèrent plusieurs démarches favorables à la prise en compte des recherches, tout en expliquant que l’on manque encore de connaissances et d’actions à ce propos. Ainsi, ce texte brosse un portrait succinct de l’état de la question pour suggérer la participation en 2021 à un possible dossier d’Alternatives Humanitaires centré sur le transfert des connaissances par les ONG.

De manière générale, la science, et singulièrement les résultats de recherches ou d’évaluations, est loin d’être spontanément utilisée par les acteurs, quels qu’ils soient. Les ONG œuvrant dans les domaines de l’humanitaire et du développement ne font pas exception à cette règle. S’agissant des terrains que nous connaissons le mieux, il en va ainsi du Burkina Faso, même si cette réalité n’est évidemment pas spécifique à ce pays. Au Cameroun par exemple, rares sont les ONG qui s’appuient sur des résultats d’évaluation pour éclairer la mise en œuvre de leurs activités. Même si des évaluations sont souvent commanditées, l’utilisation de leurs résultats n’est que rarement effective ou se révèle insuffisante[1]Charly Gabriel Mbock et al., « Utilisation des résultats de la recherche dans l’action publique au Cameroun », Revue internationale des sciences sociales, 2004/1, n° 179..

En effet, la plupart des activités de recherches ou d’évaluations dans les ONG œuvrant dans la région se résument à la production de documents, la rédaction de rapports, perçus comme une fin et non un moyen[2]Valéry Ridde, Seni Kouanda et Jean-François Kobiané (dir.), Pratiques et méthodes d’évaluation en Afrique, L’Harmattan, 2016.. De plus, les activités de partage des résultats se limitent, dans le meilleur des cas, à des ateliers de dissémination (souvent très onéreux[3]Valéry Ridde, N’koué Emmanuel Sambieni, Larissa Kojoue, L. et Oumar Mallé Samb, « Réformer les per diem par le dialogue », notes techniques, AFD, n° 40, 2018. et peu efficaces[4]Yanick Jaffré, « Les objectifs, les séminaires et les recommandations permettent d’améliorer la santé des populations », in Valéry Ridde et Fatoumata Ouattara (dir.), Des idées reçues … Continue reading), sans une véritable réflexion sur l’appropriation et l’utilisation des résultats dans le sens d’une amélioration des pratiques.

Pourquoi les ONG doivent-elles s’intéresser à l’utilisation de la recherche ?

Si les résultats de recherches ou d’évaluations s’avèrent évidemment utiles pour toute action publique, il en est de même pour les ONG. Une thèse sur l’utilisation des résultats d’évaluation au sein d’une ONG allemande travaillant au Burkina Faso a montré que les connaissances produites par l’évaluation de ses interventions avaient permis d’améliorer la mise en œuvre des activités, de prendre de nouvelles décisions, de mieux planifier les actions et de soutenir un plaidoyer appuyé sur de solides données en faveur d’un changement de politique publique[5]Léna D’Ostie-Racine, Christian Dagenais and Valéry Ridde, “Examining Conditions that Influence Evaluation use within a Humanitarian Non-Governmental Organisation in Burkina Faso (West … Continue reading. La recherche et l’évaluation ne doivent donc plus être perçues comme un exercice de jugement, mais bien comme une activité de soutien au développement et à l’amélioration des interventions des ONG au bénéfice d’une efficacité, d’une équité et d’une adaptation améliorées aux contextes : c’est là que « la science de l’utilisation de la science[6]Laurenz Langer, Janice Tripney and David Gough, The Science of Using Science: Researching the Use of Research Evidence in Decision-Making, London: EPPI-Centre, Social Science Research Unit, UCL … Continue reading » peut s’avérer d’un secours certain.

« La recherche et l’évaluation ne doivent donc plus être perçues comme un exercice de jugement. »

Quelques définitions concernant la « science de l’utilisation de la science »

Nous privilégions l’expression « transfert de connaissances » pour décrire le concept de « recherche vers et pour l’action ». Notre définition englobe toutes les étapes liées au processus de transfert, de la production de la recherche jusqu’à son utilisation. Elle inclut l’ensemble des efforts pour favoriser l’utilisation de la recherche. Elle comporte généralement des interactions avec les utilisateurs afin de tenir compte de leurs contextes, de leurs expertises et de leurs besoins, sans aucune démarche condescendante, unidirectionnelle ou dévalorisante. La formule « transfert des connaissances » est donc, de notre point de vue, celle qui englobe le mieux l’ensemble des pratiques.

Il existe plusieurs types d’utilisation des connaissances. Lorsqu’un intervenant d’une ONG dans un domaine social assiste à la présentation de résultats de recherche lors d’un congrès scientifique et qu’il prend connaissance d’études démontrant qu’une nouvelle façon de faire est plus efficace que ce qu’il fait généralement dans son organisation, il s’agit d’une « utilisation conceptuelle »des connaissances. Au retour dans son service au sein de l’ONG, cet intervenant s’appuie sur les résultats dont il a pris connaissance pour convaincre ses collègues de changer leur façon d’agir, il fait alors une « utilisation persuasive » des connaissances scientifiques. À la suite de cette intervention, si les collègues de l’intervenant acceptent de changer leurs pratiques et modes d’intervention, ils feront alors une « utilisation instrumentale » des connaissances.

« Le recours à un intermédiaire appelé “courtier de connaissances” est de plus en plus répandu. »

La faible utilisation des connaissances issues de la recherche est constatée dans de très nombreux systèmes et institutions (humanitaire, santé, éducation, justice, etc.) à travers le monde, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Pour remédier à cette situation, le recours à un intermédiaire appelé « courtier de connaissances » est de plus en plus répandu. Celui-ci (une personne ou une organisation) construit une relation de proximité entre les utilisateurs des connaissances, tels que des décideurs, des intervenants ou des professionnels, avec les chercheurs. Une recherche réalisée récemment au Burkina Faso montre les défis du recours aux courtiers de connaissances dans le domaine de la santé[7]Esther Mc Sween-Cadieux, Christian Dagenais, Donmozoun Télesphore Somé and Valéry Ridde, “A health knowledge brokering intervention in a district of Burkina Faso: A qualitative retrospective … Continue reading.

Les défis de l’utilisation des résultats par les ONG

Le principal défi est d’arriver à rompre avec la routine et de parvenir à une véritable intégration de la culture de la recherche et de l’évaluation axée sur l’utilisation[8]Michael Quinn Patton, « L’évaluation axée sur l’utilisation », inValéry Ridde et Christian Dagenais (dir.), Approches et pratiques en évaluation de programmes, Presses de l’Université … Continue reading dans le fonctionnement des ONG. Celles-ci (et leurs bailleurs de fonds) doivent notamment travailler à changer leurs perceptions vis-à-vis des chercheurs et des évaluateurs. Ces derniers sont encore trop souvent perçus comme des juges chargés de relever les imperfections ou les failles constatées dans les interventions, et non comme des personnes pouvant aider à la prise de décision pour le changement. Au-delà de produire des résultats, les évaluateurs et leurs commanditaires devraient se donner pour mandat d’encourager et de soutenir une utilisation effective des résultats à travers des recommandations opérationnelles réalistes. Une ONG en Afghanistan a montré que cela n’était pas impossible, mais évidemment pas facile[9]Valéry Ridde, Sylvie Goossens and Sahibullah Shakir, “Short-term consultancy and collaborative evaluation in a post-conflict and humanitarian setting: lessons from Afghanistan”, Evaluation and … Continue reading. Une autre expérience au Burkina Faso a montré que huit années de collaboration entre chercheurs et ONG avaient permis d’influencer une prise de décision politique dans le domaine de la santé[10]Valéry Ridde and Pierre Yaméogo, “How Burkina Faso used evidence…”, art. cit. ; Christian Dagenais, Ludovic Queuille and Valéry Ridde, “Evaluation of a knowledge transfer strategy from … Continue reading.

L’intérêt pour les ONG d’utiliser la recherche et l’évaluation est relativement évident. Dans un monde idéal, un bailleur de fonds d’une ONG aura certainement moins de réticence à financer un projet dont le contenu est fondé sur des données probantes que l’inverse. Il existe évidemment de nombreux financements donnés pour des raisons politiques ou stratégiques, mais on peut rêver qu’à l’avenir cette perspective s’estompe et qu’une ONG faisant abstraction de la recherche ou de l’évaluation risque d’avoir des difficultés à se développer dans une économie de l’aide de plus en plus concurrentielle. Par exemple actuellement, la plupart des financements d’Unitaid pour des ONG sont soumis à la présence d’une équipe de recherche dans le consortium du projet. Début 2020, un appel d’offres de l’AFD pour un projet sur la santé sexuelle et reproductive au Sénégal impose la participation d’une institution de recherche dans le consortium dont la direction doit être prise par une ONG. Dans un récent projet au Sahel, nous avons suggéré aux ONG de mettre en place des courtiers de connaissances dans les pays concernés.

Ne pas utiliser la recherche ou – au contraire – l’utiliser en l’instrumentalisant, notamment pour éviter un regard critique sur son intervention, fait encourir le risque pour une ONG d’être cataloguée membre dece que certains ont appelé le « cartel du succès[11]Yogesh Rajkotia, “Beware of the success cartel: a plea for rational progress in global health”, BMJ Global Health, 3(6), 2018. » où les membres s’arrangent pour cacher les problèmes sous le tapis et ne rendre explicites que leurs réussites. L’étude des effets inattendus des interventions par les ONG est aussi souvent ignorée, comme cela a été montré au Niger ou au Burkina Faso[12]Valéry Ridde and Aïssa Diarra, “Case 16. From unintended to undesirable effects of health intervention: The case of user fees abolition in Niger, West Africa”, inJonathan A. Morell (ed.), … Continue reading. Pourtant, ces résultats auraient assurément été utiles pour améliorer les actions. À court terme, cette stratégie d’ignorance peut être efficace pour continuer d’agir, mais à long terme elle peut porter préjudice à la réputation et surtout au succès du travail en faveur des populations.

« Il faut évidemment être aussi attentif aux conflits d’intérêts dans l’utilisation (ou la non-utilisation) de la recherche… »

Il faut évidemment être aussi attentif aux conflits d’intérêts dans l’utilisation (ou la non-utilisation) de la recherche, car cela peut aussi porter un préjudice aux actions. Par exemple, si un chercheur a fait toute sa carrière, réalisant au passage de nombreuses consultations rémunératrices, dans la promotion des mutuelles de santé ou du financement basé sur les résultats en Afrique, on peut douter de sa crédibilité lorsqu’il va évaluer une ONG qui met en place ce type d’outil sans distance critique. Ce doute est renforcé lorsque l’on apprend qu’il est en même temps actionnaire d’une firme vendant des services informatiques pour soutenir leur mise en place. C’est un exemple parmi tant d’autres pour montrer combien l’utilisation des évaluations et des recherches doit aussi tenir compte des personnes et institutions qui les produisent, tout comme de la rigueur de leurs analyses. Les ONG font souvent face à des défis dans la mise en œuvre de leurs interventions où ce qui a été planifié et financé est rarement mis en place intégralement sur le terrain. Il s’agit plus d’une norme que d’une exception. Les travaux de recherche peuvent, en amont et en aval, aider les ONG à faire en sorte que la mise en œuvre soit plus efficace et plus contextuelle.

Enfin, il existe un enjeu éthique essentiel dans le fait de ne pas tenir compte de l’état des connaissances scientifiques avant de mettre en place une intervention. Le combat contre certaines idées reçues (par exemple le rôle des tisanes d’Artemisia pour soigner le paludisme) doit être permanent pour éviter de reproduire des actions dont la science a montré depuis longtemps qu’elles n’étaient pas utiles, voire dangereuses.

Exemples de stratégies de transfert de connaissances

Une récente étude de l’état actuel de la recherche sur l’efficacité du transfert de connaissances a regroupé les stratégies selon leurs mécanismes de changement sous-jacents[13]Laurenz Langer, Janice Tripney, David Gough,The Science of Using Science…, op.cit.; Jonathan Breckon and Jane Dodson, “Using evidence: What works”, op.cit.. Six mécanismes ont été identifiés : sensibiliser les utilisateurs à adopter des attitudes positives envers l’utilisation de la recherche (M1) ; développer une compréhension commune des questions de recherche pertinentes à la pratique et à la prise de décision (M2) ; améliorer l’accès et la façon de communiquer la recherche (M3) ; favoriser les interactions entre chercheurs et utilisateurs (M4) ; développer les compétences des utilisateurs pour utiliser la recherche (M5) et agir sur les processus décisionnels et les structures organisationnelles (M6).

Les stratégies agiraient au niveau de trois aspects menant à un changement de comportement : la capacité d’utiliser les connaissances, la motivation à le faire et l’opportunité pour le faire. Pour mener à une utilisation de la recherche, les stratégies devraient pouvoir agir sur un ou plusieurs de ces aspects.

Cependant, nous disposons encore de relativement peu de données probantes sur l’efficacité de ces mécanismes, notamment celles impliquant des ONG. La difficulté à cerner l’effet de certains de ces mécanismes peut s’expliquer par le fait qu’elles sont souvent combinées à d’autres stratégies. L’effet spécifique attribuable à ce mécanisme est difficile à affirmer. Les stratégies misant sur des outils de communication (M3) ou des formations (M5) constituent, quant à elles, des activités plus faciles à circonscrire, et donc à évaluer. Mais c’est encore trop rarement effectué. Davantage de recherches et d’analyses sont donc nécessaires pour statuer sur l’efficacité potentielle de ces mécanismes. Mais plusieurs études mentionnent l’importance de miser sur des stratégies multiples et combinées afin d’être en mesure à la fois de sensibiliser à l’utilisation de la recherche, de renforcer les capacités à le faire – mais aussi les capacités des chercheurs à partager leurs connaissances –, de rendre davantage accessibles les connaissances utiles et adaptées au contexte local, de créer des espaces pour les coproduire et aussi d’accompagner le changement en pratique.

Les résultats de ces synthèses réaffirment l’inefficacité des approches passives et linéaires pour diffuser les connaissances, comme les traditionnels ateliers de dissémination à la fin[14]Esther Mc Sween-Cadieux, Christian Dagenais, Paul-André Somé and Valéry Ridde, “Research dissemination workshops: observations and implications based on an experience in Burkina Faso”, Health … Continue reading. Par exemple, les stratégies visant à améliorer l’accès et la communication de la recherche (M3) doivent offrir l’opportunité d’utiliser les connaissances tout en agissant sur la motivation des utilisateurs à le faire.

Les résultats montrent également l’importance de bien définir le public cible d’une stratégie visant la communication de la recherche afin d’adapter le message à leurs besoins et à leurs préférences. Les ateliers de dissémination où tout le monde est convié sans avoir en amont pensé au public cible ne répondent pas à ce critère. En outre, il s’avère souvent avantageux d’impliquer les utilisateurs dans le processus, de leur permettre de choisir le canal de communication préféré pour accéder aux connaissances et de leur donner accès au moment opportun et non plusieurs mois, voire des années, après la fin de la recherche. Cela signifie diversifier et multiplier les modalités pour diffuser la recherche.

Enfin, les stratégies qui visent à renforcer les compétences des utilisateurs pour accéder aux résultats de recherche et les comprendre seraient efficaces seulement si la composante éducative est appliquée avec suffisamment d’intensité (une formation d’une demi-journée est rarement suffisante) et si un accompagnement est proposé par la suite. Ces stratégies de renforcement des capacités produiraient d’aussi bons résultats lorsqu’elles sont dispensées en ligne plutôt qu’en personne et si elles misent également sur des modalités pédagogiques interactives.

Quelques outils de transfert des connaissances

Les stratégies que nous venons de décrire doivent aussi s’appuyer sur l’utilisation d’outils spécifiques au transfert des connaissances. Il en existe de très nombreux et nous nous limitons ici à présenter ceux que nous avons les plus utilisés en Afrique.

Les notes de politique

Plusieurs termes sont utilisés pour parler de ce que nous appelons « note de politique ». On retrouve notamment, en anglais, les termes policy brief (sans doute le plus utilisé, même par les francophones). On peut placer les notes sur un continuum allant de la plus neutre à la plus interventionniste. Au sein des équipes avec lesquelles nous travaillons, nous nous concentrons souvent sur des notes de politique interventionnistes qui se présentent comme un texte court, écrit en langage clair et dans un format attrayant. Cette note de politique résume les résultats d’une ou de plusieurs recherches et propose des recommandations adressées à un public non spécialiste dans le but qu’il en fasse usage dans ses pratiques professionnelles ou pour la prise de décision[15]Christian Dagenais et Valéry Ridde, « Les notes de politique : retour sur notre expérience autour d’un outil de transfert des connaissances pour les décideurs et intervenants », 2018, … Continue reading.

Les ateliers délibératifs

Dans le but de favoriser l’utilisation des connaissances issues de la recherche, il est de plus en plus recommandé d’organiser un processus de dialogue délibératif, fondé sur des données probantes, entre de multiples intervenants pour une prise de décision rigoureuse et complète[16]Juliet Nabyonga-Orem et al., “Policy dialogue to improve health outcomes in low income countries: what are the issues and way forward?”, BMC Health Serv Res, 16, 217, 2016..

Au Burkina Faso, des ateliers délibératifs ont été organisés pour permettre aux chercheurs de présenter et de discuter avec les personnes concernées les résultats clés des deux recherches afin d’aboutir à des dialogues délibératifs à partir des recommandations[17]Équipe RENARD, « Organiser un atelier délibératif pour partager les résultats de recherché ? », Coup d’œil sur la recherche, n° 2, … Continue reading. Pour conduire les processus délibératifs, les chercheurs ont présenté succinctement les principaux résultats des recherches, ainsi que les pistes de solutions. Cette étape a permis de préparer les acteurs au contenu et de déterminer la manière de mettre en œuvre les recommandations pertinentes et applicables. Après la présentation des résultats, une bonne partie du temps a été accordée aux échanges sur les résultats et spécifiquement sur les recommandations formulées en vue de la prise de décision et de l’engagement pour changer les pratiques ou les situations. Ils ont abouti à l’élaboration d’un plan d’action concerté pour réduire les accidents de la circulation. Des mesures sécuritaires ont été prises par la police en renforçant le nombre d’agents dans les différents lieux où les accidents survenaient fréquemment. Quelques années après, les affiches produites sur la base de ces résultats de recherche se trouvent encore sur les murs du commissariat. 

L’outil vidéo

La vidéo pourrait constituer un outil de transfert de connaissances efficace[18]Fiorella Logan and Richard Mayer, “What works and doesn’t work with instructional video”, Computers in Human Behavior, vol.89, 2018, p.465-470.. En santé publique, elle peut servir de stratégie de transfert et d’échange de connaissances valable[19]Pascale Lehoux, Patrick Vachon, Geneviève Daudelin and Myriam Hivon, “How to summarize a 6,000-word paper in a six-minute video clip”, Healthcare Policy, 8(4), 2013, p.19-26.. Les images présentent des avantages par rapport au texte[20]Albert Mehrabian, Silent Messages: Implicit Communication of Emotions and Attitudes, Belmont, California: Wadsworth Publishing Company, 1981.. L’utilisation d’images pour le transfert de connaissances serait donc particulièrement pertinente puisque l’apprentissage est plus significatif quand les informations visuelles et verbales sont livrées simultanément plutôt que successivement. La vidéo a donc le pouvoir de contribuer de façon importante au processus d’apprentissage entre les organisations[21]Paul Van Mele, “Video-mediated farmer-to-farmer learning for sustainable agriculture”, 2011, http://agroinsight.com/downloads/articles-divers/Farmer-to-farmer-video-FINALREPORT-Van-Mele-2011.pdf. Elle a d’ailleurs été utilisée dans le cadre de plusieurs programmes et a produit des résultats probants.

La vidéo a été utilisée dans le cadre d’une recherche sur la dengue au Burkina Faso[22]« La dengue au Burkina Faso », https://vimeo.com/240513650. Cette recherche avait pour objectif de déterminer parmi trois genres narratifs de vidéos (reportage, pièce de théâtre et animation graphique) lequel se révélerait le meilleur outil de transfert de connaissances pour former les professionnels de santé à la prise en charge des malades victimes de la dengue. Les vidéos ont été élaborées avec les mêmes informations concernant la transmission, le diagnostic et le traitement du virus de la dengue. Elles ont ensuite été projetées à des étudiants en soins infirmiers. Les résultats de la recherche indiquent que les vidéos présentées sous forme de théâtre et d’animation graphique ont favorisé la transmission et la rétention de nouvelles connaissances sur la dengue, grâce notamment à certains dispositifs narratifs. Il s’agit de la variation du rythme du récit, l’interpellation du spectateur face à la caméra, la création d’un univers visuel avec des couleurs vives cumulée à des images qui illustrent les explications. La vidéo a été largement diffusée sur Internet et les réseaux sociaux. Elle contribue aussi à la sensibilisation des populations pour la prévention de la dengue.

Un appel à la réflexivité

Cet article n’avait d’autre prétention que de proposer une introduction à l’importance et aux défis de l’utilisation de la science par les ONG. Les personnes souhaitant approfondir leurs connaissances trouveront de multiples ressources pour renforcer ses compétences. Pour les francophones, nous allons notamment leur proposer un cours en ligne gratuit (https://www.equiperenard.org) de 45  heures pour mieux comprendre le transfert des connaissances, ainsi que la manière de rédiger une note de politique. Il sera traduit en anglais et en espagnol au début de l’année 2021.

Mais avec cet article, nous souhaitions aussi lancer un appel à la communauté des ONG et des chercheurs ou évaluateurs. Il nous reste encore beaucoup à apprendre sur la manière dont les ONG tentent d’utiliser la recherche et l’évaluation dans leurs interventions. C’est un appel à la réflexivité que nous lançons et nous proposons que toutes les personnes intéressées par ce sujet puissent nous proposer leurs textes. Nous souhaitons en effet lire vos expériences, vos réflexions, vos stratégies, vos défis, vos échecs et vos réussites dans l’utilisation des résultats de la recherche et de l’évaluation par et pour les ONG*. Et en attendant, c’est aussi un appel à l’action, aux actions de transfert des connaissances par les ONG que nous souhaitons lancer. Nous faisons encore trop peu pour que la recherche soit utile et utilisée par les ONG. À nous tous d’agir et de réfléchir pour une meilleure utilisation de la science.

* Cet appel pourrait être le prélude à la réalisation d’un dossier de la revue Alternatives Humanitaires à paraître en 2021. Si vous souhaitez soumettre un projet d’article, merci d’adresser un résumé de votre problématique et un plan provisoire (1 page maximum) à l’adresse suivante avant le lundi 4 mai 2020 : valery.ridde@ird.fr


ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-642-3

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References

References
1 Charly Gabriel Mbock et al., « Utilisation des résultats de la recherche dans l’action publique au Cameroun », Revue internationale des sciences sociales, 2004/1, n° 179.
2 Valéry Ridde, Seni Kouanda et Jean-François Kobiané (dir.), Pratiques et méthodes d’évaluation en Afrique, L’Harmattan, 2016.
3 Valéry Ridde, N’koué Emmanuel Sambieni, Larissa Kojoue, L. et Oumar Mallé Samb, « Réformer les per diem par le dialogue », notes techniques, AFD, n° 40, 2018.
4 Yanick Jaffré, « Les objectifs, les séminaires et les recommandations permettent d’améliorer la santé des populations », in Valéry Ridde et Fatoumata Ouattara (dir.), Des idées reçues en santé mondiale, Presses de l’Université de Montréal, 2017, p. 225-229, https://books.openedition.org/pum/3716
5 Léna D’Ostie-Racine, Christian Dagenais and Valéry Ridde, “Examining Conditions that Influence Evaluation use within a Humanitarian Non-Governmental Organisation in Burkina Faso (West Africa)”, Systemic Practice and Action Research, 21 November 2019, Valéry Ridde and Pierre Yaméogo, “How Burkina Faso used evidence in deciding to launch its policy of free healthcare for children under five and women in 2016”, Palgrave Communications, 4, 119, 2018.
6 Laurenz Langer, Janice Tripney and David Gough, The Science of Using Science: Researching the Use of Research Evidence in Decision-Making, London: EPPI-Centre, Social Science Research Unit, UCL Institute of Education, University College London, April 2016; Jonathan Breckon & Jane Dodson, “Using evidence: What works”, A discussion paper, EPPI-Centre, Social Science Research Unit, UCL Institute of Education, University College London, London, April 2016.
7 Esther Mc Sween-Cadieux, Christian Dagenais, Donmozoun Télesphore Somé and Valéry Ridde, “A health knowledge brokering intervention in a district of Burkina Faso: A qualitative retrospective implementation analysis”, PLOS ONE, 14(7), 26 July 2019.
8 Michael Quinn Patton, « L’évaluation axée sur l’utilisation », inValéry Ridde et Christian Dagenais (dir.), Approches et pratiques en évaluation de programmes, Presses de l’Université de Montréal, 2009, p. 144-158.
9 Valéry Ridde, Sylvie Goossens and Sahibullah Shakir, “Short-term consultancy and collaborative evaluation in a post-conflict and humanitarian setting: lessons from Afghanistan”, Evaluation and Program Planning, 35, 2012, p.180-188.
10 Valéry Ridde and Pierre Yaméogo, “How Burkina Faso used evidence…”, art. cit. ; Christian Dagenais, Ludovic Queuille and Valéry Ridde, “Evaluation of a knowledge transfer strategy from a user fee exemption program for vulnerable populations in Burkina Faso”, Global Health Promotion, 20, Suppl. 1, April 2013, p.70-79.
11 Yogesh Rajkotia, “Beware of the success cartel: a plea for rational progress in global health”, BMJ Global Health, 3(6), 2018.
12 Valéry Ridde and Aïssa Diarra, “Case 16. From unintended to undesirable effects of health intervention: The case of user fees abolition in Niger, West Africa”, inJonathan A. Morell (ed.), Evaluation in the Face of Uncertainty. Anticipating Surprise and Responding to the Inevitable, Guilford Press, 2010; Anne-Marie Turcotte-Tremblay, Manuela De Allegri, Idriss Adri Gali-Gali and Valéry Ridde, “The unintended consequences of combining equity measures with performance-based financing in Burkina Faso”, International Journal for Equity in Health, 17, 109, 2018.
13 Laurenz Langer, Janice Tripney, David Gough,The Science of Using Science…, op.cit.; Jonathan Breckon and Jane Dodson, “Using evidence: What works”, op.cit.
14 Esther Mc Sween-Cadieux, Christian Dagenais, Paul-André Somé and Valéry Ridde, “Research dissemination workshops: observations and implications based on an experience in Burkina Faso”, Health Research Policy and System, 15, 43, 2017.
15 Christian Dagenais et Valéry Ridde, « Les notes de politique : retour sur notre expérience autour d’un outil de transfert des connaissances pour les décideurs et intervenants », 2018, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01681939 ; voir une note sur l’efficacité même des notes de politique : https://36671ce8-37d7-4c16-9292-45ae340934dc.filesusr.com/ugd/a01b06_e04b7ddeba2343818d0b035cd2a3caf7.pdf ; voir aussi un exemple de note issue d’une recherche sur les accidents de la route au Burkina Faso :http://www.equitesante.org/wp-content/uploads/2016/01/Note-Traumatismes_PB3_fr.pdf
16 Juliet Nabyonga-Orem et al., “Policy dialogue to improve health outcomes in low income countries: what are the issues and way forward?”, BMC Health Serv Res, 16, 217, 2016.
17 Équipe RENARD, « Organiser un atelier délibératif pour partager les résultats de recherché ? », Coup d’œil sur la recherche, n° 2, https://36671ce8-37d7-4c16-9292-45ae340934dc.filesusr.com/ugd/a01b06_93a65147983a42c5a8861d2a14ef824e.pdf
18 Fiorella Logan and Richard Mayer, “What works and doesn’t work with instructional video”, Computers in Human Behavior, vol.89, 2018, p.465-470.
19 Pascale Lehoux, Patrick Vachon, Geneviève Daudelin and Myriam Hivon, “How to summarize a 6,000-word paper in a six-minute video clip”, Healthcare Policy, 8(4), 2013, p.19-26.
20 Albert Mehrabian, Silent Messages: Implicit Communication of Emotions and Attitudes, Belmont, California: Wadsworth Publishing Company, 1981.
21 Paul Van Mele, “Video-mediated farmer-to-farmer learning for sustainable agriculture”, 2011, http://agroinsight.com/downloads/articles-divers/Farmer-to-farmer-video-FINALREPORT-Van-Mele-2011.pdf
22 « La dengue au Burkina Faso », https://vimeo.com/240513650

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