Le camp de Moria, « prison à ciel ouvert » : quelles alternatives à l’encampement ?

Alice Gotheronstagiaire Relations Presse chez Médecins Sans Frontières France. Après un Master en Droit International, je m’oriente vers la solidarité internationale, d’abord grâce à un projet de volontariat en Inde. Je suis ensuite une formation Bioforce puis un stage de 9 mois au pôle MEAL de Handicap International en gestion de projet. Je complète ma formation en intégrant le Master DAH de Paris I, où je développe mon intérêt pour les questions de santé globale, de genre et de migrations. Aujourd’hui en stage Relations Presse chez Médecins Sans Frontières, je suis interpellée par les enjeux et le rôle de la communication et du plaidoyer dans l’aide humanitaire.
Elodie HartmannChargée de communication et collecte grand public chez Planète Enfants & Développement. Après deux ans de classe préparatoire, je rejoins Paris 1 pour y effectuer une double licence Economie – Science Politique. Sensible aux droits de l’enfant depuis mon expérience de Jeune Ambassadrice de l’UNICEF au collège, je décide de prendre une année de césure pour partir un an en Service Civique au Bénin avec l’ONG Orphelins Sida International. J’y anime un jardin d’enfants. Dans le cadre du Master 2 DAH de Paris 1, je décide ensuite de poursuivre mon engagement dans ce domaine en effectuant mon stage de fin d’études auprès de Planète Enfants & Développement. Vous êtes membre de la communauté d’AH ?
Flora BaronAssistante communication et gestion de projets chez BATIK International. Après une licence de science politique au cours de laquelle j’ai pu notamment réaliser mes premiers engagements associatifs, je poursuis mes études en master de science politique à Paris I. Après un stage au sein de l’association Aurore, je décide de concrétiser mes études en réalisant le Master DAH de Paris I. Je suis aujourd’hui en stage de fin d’étude en tant qu’assistante communication et gestion de projets au sein de l’association BATIK International, ONG française mettant en œuvre des projets de développement du pouvoir d’agir de personnes vulnérables.

Publié le 14 avril 2020

Quatrième article de la série « Le Campus d’AH » en partenariat avec le Master Développement et Aide Humanitaire du département de science politique de Paris 1 Panthéon Sorbonne.

Le camp de Moria, « honte de l’Europe » selon Jean Ziegler, vice-président du Comité consultatif pour les droits de l’Homme de l’ONU, attire l’attention médiatique depuis quelques mois, encore plus alors que des tentatives de suicide de jeunes enfants y ont été signalées. Plutôt que de dresser un énième état des lieux révoltant de la situation, nous avons choisi de livrer quelques éléments de réflexion sur la pérennisation des camps de réfugiés et les alternatives envisageables.

« Il est difficile de croire qu’il s’agit de l’Europe, où la Convention européenne des droits de l’Homme est entrée en vigueur en 1953 »[1]Liz Clark, “It is difficult to believe this is Europe: the mental health crisis in Moria camp”, Médecins Sans Frontières, 21 septembre 2018.. Lisa Clark, médecin travaillant pour Médecins Sans Frontières (MSF) à Lesbos, dénonce les conditions inhumaines dans lesquelles vivent les demandeurs d’asile à Moria. MSF donc, mais aussi Human Rights Watch[2]« Grèce : des conditions d’accueil inhumaines à la frontière terrestre », Human Rights Watch, 27 juillet 2018. ou Oxfam[3]« Cécile Duflot, d’Oxfam France : La situation dans le camp de Moria, l’une des pires que j’ai jamais vue », France 24, 1er octobre 2019., alertent sur la surpopulation endémique du camp et appellent à une réaction urgente de l’Union européenne (UE) et du gouvernement grec. En effet, les ressources manquent dans tous les domaines : alimentaire, sanitaire mais aussi infrastructures adaptées ou personnel médical et psycho-social.

Le camp, conçu en 2013 comme un centre d’enregistrement où les demandeurs d’asile ne séjourneraient qu’un ou deux jours, est aujourd’hui sévèrement surpeuplé[4]Joël Bronner, « Grèce : dans le camp surpeuplé de Moria, la santé des migrants inquiète », RFI, 8 octobre 2019. et se pérennise. Il n’est en effet pas rare que les migrants attendent un an avant de voir leur dossier examiné. Plusieurs fois agrandi, Moria demeure inadapté à la vie dans des conditions dignes et humaines.

La pérennisation du camp de Moria : l’urgence de penser à « l’après »

Dans son rapport de l’année 2018, le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) estime que seuls 0,1% des réfugiés en Europe vivent dans des camps[5]Rapport global du HCR 2018, résumés régionaux : Europe. En tant que « hotspot », Moria ne figure pas dans ces statistiques. N’étant pas géré par une institution onusienne, ce n’est pas un camp de réfugiés humanitaire stricto sensu. Ce sont pourtant plus de 20 000 personnes[6]Grand Format : « Lesbos, prison à ciel ouvert », Médecins Sans Frontières, 29 mars 2020, http://grand-format.msf.fr/lesbos-prison-a-ciel-ouvert#chapter-5682891 qui s’entassent dans le camp de Moria – pour une capacité de 3 000 personnes. En enfermant des populations pensant être arrivées au terme de leur parcours migratoire souvent traumatisant, il est bien le résultat de l’échec de la politique migratoire européenne. Plusieurs années après l’entrée en vigueur de l’accord entre l’UE et la Turquie (2016) et des Règlements de Dublin (2013), il semble que ceux-ci soient de simples instruments politiques permettant à l’UE d’externaliser le contrôle aux frontières en finançant le confinement des populations aux portes de l’Europe. L’État Grec est aussi en première ligne des critiques, accusé d’un manque de volonté politique

Le camp de Moria cristallise finalement à lui seul le paradoxe du camp : initié pour répondre rapidement à une situation urgente, il est un lieu de mise à l’écart, d’exclusion sociale, et devient un moyen d’immobiliser des personnes en mouvement. A noter que la pérennisation des camps devient une généralité, la durée de vie moyenne dans un camp étant de 11,7 ans[7]« Appel global 2018-2019 », HCR. Michel Agier alertait déjà en 2016 sur la nécessité de repenser l’hospitalité « dans un contexte où l’on ne peut pas empêcher les gens de se déplacer »[8]« Michel Agier : Avoir peur de l’autre avant même de le connaître : c’est ça l’encampement du monde », L’Humanité, 16 Juin 2016. Moria, « bombe à retardement sanitaire »[9]« Grèce : le camp de réfugiés de Moria, “bombe sanitaire” », La Dépêche, 22 Mars 2020 selon l’ONG Open Arms, est encore plus vulnérable aujourd’hui, dans le contexte de l’épidémie de Covid-19.

Quelles solutions alors pour envisager un avenir porteur de conditions de vie plus humaines ?

Une première possibilité serait de reconnaître le camp de Moria comme un camp de réfugiés au sens du HCR, afin qu’il se voit alloués des moyens et une structure plus adéquats permettant de mieux identifier et répondre aux besoins des populations. De toute évidence imparfaite, cette reconnaissance soigne les symptômes – les conditions de vie indignes du camp de Moria – ignorant la question, pourtant essentielle, de l’encampement des personnes en migration, privées de perspectives d’avenir puisque contraintes à évoluer enfermées.

L’encampement n’étant pas une solution durable, « l’après » devrait être pensé dès la construction du camp, grâce à une réflexion sur l’intégration ou la réinstallation de ses occupants. À Moria, « l’après » qu’envisage le gouvernement grec ne laisse pas entrevoir une amélioration des conditions de ses habitants. Le gouvernement élu en 2019 cultive les propos xénophobes et édicte une politique migratoire durcie : de nouveaux camps fermés, semblables à des camps de rétention, sont prévus pour remplacer ceux qui aujourd’hui s’étendent dans les champs d’oliviers, et un appel à projet a été lancé pour construire une barrière flottante autour des îles de la mer Egée.

Une alternative à l’encampement : les réfugiés en milieu urbain

Aujourd’hui, seul le HCR propose une alternative à l’encampement à travers le statut de réfugié urbain[10]« Réfugiés : les défis humanitaires en milieu urbain », France terre d’asile, 10 Janvier 2013. En 2018, 31% des réfugiés dans le monde vivaient dans des camps, les autres résidant en milieu urbain ou rural. Le HCR tente donc de soutenir les efforts visant à intégrer les réfugiés au sein de la communauté d’accueil, à encourager leur autonomisation et leur participation à l’économie locale[11]« Appel global 2018-2019 », HCR, « Rechercher des alternatives aux camps », p.192-193. Cela nécessite toutefois un suivi assidu des réfugiés, particulièrement vulnérables à leur arrivée dans un pays où ils n’ont pas de repères, et dont la précarité les expose à tout types d’exploitation. Attention donc, à ne pas reproduire le schéma de la Libye où les migrants n’ont de choix que les dangers quotidiens de la ville, les camps officiels ou bien les prisons clandestines.

Il est d’autant plus difficile de proposer une analyse et des solutions que Moria est marqué par son opacité : peu de chiffres officiels sont accessibles et le camp est interdit à la presse depuis 2016. L’accès à l’information permettrait pourtant la récolte de données et ainsi une meilleure analyse des besoins, mais aussi la sensibilisation de l’opinion publique et des autorités à l’urgence d’agir. Michel Agier appelle d’ailleurs à « rendre les camps célèbres » pour faire cesser leur « invisibilité »[12]« Michel Agier : Il est urgent de rendre les camps de réfugiés célèbres », Libération, 21 novembre 2014.. Une volonté que partage Rima Hassan, présidente de l’Observatoire des Camps de Réfugiés, qui a pour mission de récolter des données fiables et neutres et d’informer le grand public sur la situation des camps de réfugiés dans le monde[13]« Informer et mobiliser, l’objectif de l’Observatoire des Camps de Réfugiés », GuitiNews, 20 mars 2020.. 

Flora Baron – assistante communication et gestion de projets chez BATIK International. Après une licence de science politique au cours de laquelle j’ai pu notamment réaliser mes premiers engagements associatifs, je poursuis mes études en master de science politique à Paris I. Après un stage au sein de l’association Aurore, je décide de concrétiser mes études en réalisant le Master DAH de Paris I. Je suis aujourd’hui en stage de fin d’étude en tant qu’assistante communication et gestion de projets au sein de l’association BATIK International, ONG française mettant en œuvre des projets de développement du pouvoir d’agir de personnes vulnérables.

Alice Gotheron stagiaire Relations Presse chez Médecins Sans Frontières France.

Après un Master en Droit International, je m’oriente vers la solidarité internationale, d’abord grâce à un projet de volontariat en Inde. Je suis ensuite une formation Bioforce puis un stage de 9 mois au pôle MEAL de Handicap International en gestion de projet. Je complète ma formation en intégrant le Master DAH de Paris I, où je développe mon intérêt pour les questions de santé globale, de genre et de migrations. Aujourd’hui en stage Relations Presse chez Médecins Sans Frontières, je suis interpellée par les enjeux et le rôle de la communication et du plaidoyer dans l’aide humanitaire. 

Elodie Hartmann chargée de communication et collecte grand public chez Planète Enfants & Développement.

Après deux ans de classe préparatoire, je rejoins Paris 1 pour y effectuer une double licence Economie – Science Politique. Sensible aux droits de l’enfant depuis mon expérience de Jeune Ambassadrice de l’UNICEF au collège, je décide de prendre une année de césure pour partir un an en Service Civique au Bénin avec l’ONG Orphelins Sida International. J’y anime un jardin d’enfants. Dans le cadre du Master 2 DAH de Paris 1, je décide ensuite de poursuivre mon engagement dans ce domaine en effectuant mon stage de fin d’études auprès de Planète Enfants & Développement.

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References

References
1 Liz Clark, “It is difficult to believe this is Europe: the mental health crisis in Moria camp”, Médecins Sans Frontières, 21 septembre 2018.
2 « Grèce : des conditions d’accueil inhumaines à la frontière terrestre », Human Rights Watch, 27 juillet 2018.
3 « Cécile Duflot, d’Oxfam France : La situation dans le camp de Moria, l’une des pires que j’ai jamais vue », France 24, 1er octobre 2019.
4 Joël Bronner, « Grèce : dans le camp surpeuplé de Moria, la santé des migrants inquiète », RFI, 8 octobre 2019.
5 Rapport global du HCR 2018, résumés régionaux : Europe
6 Grand Format : « Lesbos, prison à ciel ouvert », Médecins Sans Frontières, 29 mars 2020, http://grand-format.msf.fr/lesbos-prison-a-ciel-ouvert#chapter-5682891
7 « Appel global 2018-2019 », HCR
8 « Michel Agier : Avoir peur de l’autre avant même de le connaître : c’est ça l’encampement du monde », L’Humanité, 16 Juin 2016
9 « Grèce : le camp de réfugiés de Moria, “bombe sanitaire” », La Dépêche, 22 Mars 2020
10 « Réfugiés : les défis humanitaires en milieu urbain », France terre d’asile, 10 Janvier 2013
11 « Appel global 2018-2019 », HCR, « Rechercher des alternatives aux camps », p.192-193
12 « Michel Agier : Il est urgent de rendre les camps de réfugiés célèbres », Libération, 21 novembre 2014.
13 « Informer et mobiliser, l’objectif de l’Observatoire des Camps de Réfugiés », GuitiNews, 20 mars 2020.

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