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Covid-19 en situation de conflit : une réponse difficile, mais nécessaire

Michiel Hofman
Michiel HofmanMichiel Hofman travaille en tant que spécialiste principal des questions humanitaires pour Médecins Sans Frontières. Installé à Belfast, il se consacre à la recherche, à la formation et au soutien opérationnel ainsi qu’à des publications dans le domaine humanitaire. Il a notamment codirigé les ouvrages La politique de la peur et Everybody’s War. Avant cela, Michiel a effectué des missions de terrain pour MSF entre 1993 et 2010, travaillant en tant que coordinateur d’urgence et directeur pays au Libéria, en République démocratique du Congo, en Bosnie, au Burundi, au Sri Lanka, au Brésil, au Soudan du Sud, au Kosovo, en Russie et en Afghanistan, et pendant cinq ans en tant que directeur des opérations pour l’organisation à Amsterdam.

Dans cet article, Michiel Hofman évoque la difficulté de mettre en œuvre une réponse sanitaire dans les zones de guerre, en particulier dans des contextes où les États inspirent la défiance, où les groupes armés non étatiques appellent à une intensification des hostilités et où les acteurs humanitaires doivent faire face à des restrictions de déplacement, des pénuries d’approvisionnement et des lacunes dans la collecte de fonds.

La Covid-19 et les situations de conflit ne font pas bon ménage. Dans celles-ci, les systèmes de santé sont fragiles, les mesures de santé publique difficiles à mettre en œuvre, et les populations vulnérables : autant de conditions pouvant amplifier la pandémie. Malgré les tentatives de l’Organisation des Nations unies (ONU) visant à établir un cessez-le-feu mondial, les hostilités n’ont pas diminué depuis le début de la crise sanitaire. Au contraire, dans certains cas, elles ont même augmenté. Les communiqués de l’État islamique (Daech) et d’Al-Qaïda (AQ) ont invité leurs partisans à « profiter de l’occasion » pour mener davantage d’attaques ciblant l’ennemi affaibli. De leur point de vue, la pandémie est un facteur amplificateur des conflits. Se trouvant en première ligne des interventions de santé publique visant à lutter contre la pandémie, les États font face à la méfiance des populations, quand ils ne sont pas totalement absents des zones de conflit. Si les organisations humanitaires peuvent suppléer certaines fonctions de l’État, elles subissent l’impact des mesures de restriction des déplacements, des ruptures d’approvisionnement et du manque de financements en cette période de sollicitations accrues. Pour autant, il est capital que ces ressources limitées soient acheminées dans les zones de conflit. Cela est nécessaire afin de contenir la maladie : en effet, le contrôle d’une pandémie doit se faire partout, y compris dans les zones de guerre. Mais cela ne devrait pas être le seul argument. En fin de compte, une société se définit par la manière dont elle protège ses populations les plus vulnérables, et les populations prises au piège dans une situation de conflit font partie des groupes les plus vulnérables au monde.

Le contrôle d’une pandémie doit se faire partout, y compris dans les zones de guerre.

 

Beaucoup de conflits éclatent sur des territoires pauvres en ressources, où les systèmes de santé fragiles sont déjà saturés face aux besoins de santé préexistants. Les équipes médicales de ces systèmes sont en sous-effectif. Les soins sont rarement gratuits. Le personnel soignant manque de matériel. Et les infrastructures ont parfois été endommagées ou détruites. Nombre de personnes vivant en situation de conflit résident dans des endroits surpeuplés, en condition d’insécurité. C’est notamment le cas de celles vivant dans des camps de fortune destinés aux réfugiés ou aux personnes déplacées, dans lesquels il est impossible de mettre en place des mesures de distanciation sociale ou de se laver les mains régulièrement. Vu le faible taux de vaccination, il est fréquent que d’autres maladies se propagent, comme la rougeole en Afrique centrale, au Tchad et en République démocratique du Congo (RDC). En raison de ces conditions d’insécurité, les populations des zones de conflit ont plus de problèmes de santé annexes que d’habitude, comme la malnutrition, les infections ou les maladies non contagieuses qui ne sont pas prises en charge. En cas d’épidémie – et la Covid-19 n’échappe pas à la règle –, la maladie a pour effet de détourner des ressources médicales déjà limitées afin de les réattribuer aux interventions visant à faire face à la crise ainsi qu’aux personnes qui évitent les établissements de santé par peur des infections. En général, ces répercussions entraînent la mort d’un plus grand nombre de personnes pour des raisons de santé qui n’ont rien à voir avec l’épidémie[1]Mit Philips, “Dying of the Mundane in the Time of Ebola: The Effect of the Epidemic on Health and Disease in West Africa”, in Michiel Hofman and Sokhieng Au (eds.), The Politics of Fear, Oxford … Continue reading.

Un État en déficit de confiance auprès des populations ou complètement absent

Dans le meilleur des cas, la réponse à une crise sanitaire dans une zone de guerre est dangereuse et coûteuse. Mais une épidémie induit une complexité accrue qui la rend encore plus difficile. L’État et les autorités de santé publique, comme les ministères de la Santé, se retrouvent en première ligne des interventions visant à gérer la crise sanitaire. De nombreux aspects capitaux de la réponse à la crise de la Covid-19 (comme les tests, la fourniture de produits essentiels et les centres de soins) sont contrôlés par une autorité centrale. Pourtant, les ministères de la Santé n’opèrent pas dans un flou politique total : ils font partie du gouvernement et représentent l’État qui, dans toutes les guerres du monde contemporain, n’est que l’une des nombreuses parties aux guerres civiles. Dès lors il inspire rarement confiance, ou il est trop lointain, voire totalement absent de certaines zones hors de son contrôle. Au mieux, tout cela engendre des problèmes pratiques. Par exemple, un cas suspect localisé sur les territoires kurdes de Syrie ne peut être testé que si un prélèvement est envoyé à Damas, ce qui implique une traversée des zones de combat et un délai de deux semaines. Pire, cela signifie que les populations qui résident dans les zones échappant au contrôle du gouvernement n’ont finalement aucun accès aux traitements. Autre exemple : un centre de soins Covid-19 situé à Maiduguri (la capitale de l’État de Borno au Nigéria) dans une zone contrôlée par le gouvernement a peu de chances d’accueillir des patients issus des zones contrôlées par Boko Haram. De même, un centre de traitement situé à Mogadiscio en Somalie a peu de chances d’accueillir des patients provenant des territoires contrôlés par le groupe al-Shabab. Ce monopole d’État sur les tests et équipements de protection est particulièrement problématique dans les situations de conflit où les forces de l’opposition ont mis en place une gestion citoyenne reposant sur un ministère de la Santé parallèle, comme c’est le cas en Afghanistan ou dans le nord-ouest de la Syrie. Étant donné que ces autorités de santé ne sont pas reconnues, et que l’État sur le territoire duquel elles opèrent s’oppose à elles, il arrive bien souvent que l’aide Covid-19 n’atteigne jamais ces zones, ou alors seulement en quantité limitée par le biais des couloirs humanitaires d’approvisionnement.

Il existe des recommandations éthiques ayant fait l’objet d’un consensus international concernant le recours à la force en cas d’épidémie.

 

Cette méfiance à l’égard des autorités étatiques observée dans les zones de conflit devient encore plus problématique lorsque la police et l’armée interviennent dans le cadre de la réponse à la crise sanitaire actuelle. En général, le confinement implique des mesures de restriction (mise en quarantaine et isolement) et des mesures envahissant la sphère privée (traçage des contacts et tests). Par défaut, beaucoup de gouvernements ont fait face à la crise en jouant la carte de la sécurité : ils ont imposé, lorsqu’ils l’ont jugé nécessaire d’un point de vue sanitaire, le confinement, la fermeture des frontières et la mise en quarantaine des cas et des groupes suspects. Le recours aux forces armées pour imposer ces mesures (autrement dit, la santé sous la menace) reste un sujet sensible. C’est pourquoi il existe des recommandations éthiques ayant fait l’objet d’un consensus international concernant le recours à la force en cas d’épidémie : « Les Principes de Syracuse concernant les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui autorisent des restrictions ou des dérogations[2]UN Commission on Human Rights, “The Siracusa Principles on the Limitation and Derogation Provisions in the International Covenant on Civil and Political Rights”, 28 September 1984, E/CN.4/1985/4. … Continue reading ». Rédigé en 1984 et officialisé lors de la quarante et unième session de la Commission des droits de l’Homme, ce document sert de cadre d’orientation afin de justifier les restrictions imposées dans le cas d’une crise publique. Il présente en détail la manière dont les restrictions imposées doivent être conformes à la loi, dans l’intérêt général, nécessaires, proportionnelles et non discriminatoires.

Cependant, en situation de guerre civile, les forces de sécurité de l’État sont également des forces combattantes considérées comme une cible légitime par l’opposition armée. Dans beaucoup d’endroits, elles sont perçues comme un ennemi par la population. Par conséquent, même si un État a adhéré aux Principes de Syracuse au moment de mobiliser l’armée ou la police pour des raisons de santé publique, la méfiance des populations et les attaques de l’opposition armée peuvent mener à une aggravation de la situation sanitaire. Ce problème a été clairement mis en lumière pendant l’épidémie d’Ebola qui a eu lieu dans l’est de la RDC entre 2018 et 2019. L’épicentre de la crise était localisé dans une région où la population est traditionnellement une alliée de l’opposition politique au gouvernement de Kinshasa, et où de nombreux groupes armés de l’opposition combattent les forces de sécurité de l’État depuis des décennies. Toutefois, la réponse coordonnée par le ministère central de la Santé a fait appel à la police, à l’armée et aux renseignements généraux pour faire appliquer certaines mesures de santé publique, comme les enterrements répondant aux normes de sécurité, le traçage des contacts, les admissions forcées et les campagnes de vaccination. D’un point de vue sanitaire, cela a été contre-productif. Les malades cachaient leurs symptômes, évitaient de se faire tester, et refusaient de participer au traçage des contacts ou d’enterrer leurs morts en respectant les normes de sécurité. Cela n’a fait que prolonger la crise, au lieu de la circonscrire. La méfiance résultant de cette approche coercitive a également favorisé l’hostilité générale à l’égard des services de santé, ce qui a entraîné la destruction de nombreux établissements de santé (y compris deux centres de soins gérés par MSF) et la mort de plusieurs professionnels de santé[3]Karline Kleijer, “How the Ebola response failed the people of DRC”, MSF, 24 March 2020, https://www.msf.org/how-ebola-response-failed-people-drc  ; Heather Pagano and Emmanuel Lampaert, … Continue reading. Par exemple, la ville de Mossoul en Irak est un lieu où des tensions de ce genre sont apparues pendant la pandémie de Covid-19. Le ministère de la Santé irakien a voulu imposer la présence de policiers armés afin de surveiller les cas suspects, ce qui a suscité des violences de la part des patients dans certains endroits.

Pour éviter ce genre de situations, il est capital d’établir que les mesures de santé publique ne suspendent pas l’exécution des obligations relevant du droit international humanitaire. Les parties en conflit sont notamment obligées d’autoriser les professionnels de santé indépendants à dispenser des soins en toute neutralité et impartialité. La neutralité dans les zones de conflit implique que les belligérants, y compris l’État, ne peuvent pas intervenir aux côtés des personnels soignants neutres, car cela impliquerait que les services de santé puissent être pris pour cible[4]ICRC, “COVID-19: How IHL provides crucial safeguards during pandemics”, 30 March 2020, https://www.icrc.org/en/document/covid-19-how-ihl-provides-crucial-safeguards-during-pandemics. En somme, les politiques visant à interdire les armes dans les hôpitaux continuent de s’appliquer, même en cas de pandémie.

L’impact de la pandémie sur la dynamique des conflits

Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, est tout à fait conscient des difficultés inhérentes à la lutte contre une pandémie dans les zones de guerre. C’est la raison pour laquelle il a lancé le 23 mars un appel public en faveur d’un cessez-le-feu mondial, car « notre monde fait face à un ennemi commun constitué par le virus Covid-19 ». Il a demandé à toutes les parties en conflit de « faire taire les canons, de poser les armes et de mettre fin aux frappes aériennes » pour « pouvoir établir des couloirs d’aide humanitaire qui sauveront des vies[5]United Nations, “Secretary-General’s Appeal for Global Ceasefire”, 23 March 2020, https://www.un.org/sg/en/content/sg/statement/2020-03-23/secretary-generals-appeal-for-global-ceasefire ».

Jusqu’à présent, cet appel n’a eu que peu d’effets. La seule mise à jour publiée par les Nations unies, en date du 2 avril, indique que 70  pays environ ont adhéré au cessez-le-feu. Parmi eux, beaucoup sont parties à un conflit[6]United Nations, “Update on the Secretary-General’s Appeal for a Global Ceasefire”, 2 April 2020, https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/update_on_sg_appeal_for_ceasefire_april_2020.pdf. Cette publication mentionne également l’accord de groupes armés non étatiques au Cameroun, en République centrafricaine, en Colombie, en Libye, au Myanmar, aux Philippines, au Soudan du Sud, au Soudan, en Syrie, en Ukraine et au Yémen. Cependant, un examen approfondi de ce document montre que, dans beaucoup de ces pays, seul un groupe actif (ou éventuellement quelques-uns) a adhéré au cessez-le-feu (au Cameroun, en Irak et aux Philippines) ; ou seulement pour un mois (en Colombie) ; ou qu’il a disparu depuis (en Libye, en Ukraine et au Yémen). En outre, parmi les 70 pays cités, certains n’ont pas spécialement adhéré au cessez-le-feu lié au coronavirus. En fait, l’ONU a simplement indiqué qu’elle espérait que les accords de paix ou les cessez-le-feu préexistants seraient reconduits (en RCA, au Soudan du Sud, en Syrie, en Afghanistan et à Gaza). Selon ce rapport, il n’y aurait qu’au Soudan que le gouvernement et la plupart des groupes armés auraient adhéré au cessez-le-feu et mis fin aux combats. Face à la pandémie, la réaction des Talibans afghans a été l’une de celles émanant d’un groupe armé parmi les plus largement médiatisées : en effet, ils ont promis un accès gratuit, en toute sécurité, aux territoires qu’ils contrôlent pour les personnels soignants[7]Al Jazeera, “Taliban launches campaign to help Afghanistan fight coronavirus”, 6 April 2020, … Continue reading. Cependant, concernant le cessez-le-feu lui-même, les Talibans ont refusé d’y adhérer, déclarant que celui-ci ne s’applique que sur les territoires qu’ils contrôlent déjà. De fait, il ne s’agit donc que d’un cessez-le-feu entre les Talibans !

Beaucoup d’organisations humanitaires ont fermement et publiquement déclaré leur soutien au cessez-le-feu proposé par l’ONU. C’est notamment le cas des organisations Save The Children, Christian Aid, Concern, Action contre la Faim, International Rescue Committee et Danish Refugee Council. Le CICR, quant à lui, n’a pas souhaité adhérer au cessez-le-feu de manière explicite. L’organisation craint qu’un cessez-le-feu spécial Covid-19 ne vienne alimenter le vaste débat autour du concept de « sécurité sanitaire », faisant des soins de santé une monnaie d’échange dans les négociations de paix. Le Président du CICR, Peter Maurer, a néanmoins quasiment adhéré au cessez-le-feu dans son discours prononcé à l’occasion du Forum économique mondial. Selon lui, « une bonne raison justifie l’appel du Secrétaire général de l’ONU en faveur d’un cessez-le-feu mondial : le personnel humanitaire a besoin de tout l’espace disponible pour affronter la pandémie actuelle ». Malheureusement, les cessez-le-feu, couloirs et zones de sécurité humanitaires sont également propices aux abus. Par leur biais, le risque est de légitimer la violence et de bloquer les accès humanitaires aux territoires qui n’y adhèrent pas. Autre risque : l’une des parties peut s’auto-désigner arbitre de la répartition de l’aide entre ceux qui, d’après elle, la méritent et ceux qui ne la méritent pas.

Le débat relatif au cessez-le-feu s’est réorienté vers le Conseil de Sécurité de l’ONU lorsque la France et la Tunisie ont proposé une résolution appelant à une « trêve humanitaire » de quatre-vingt-dix jours, laquelle a rapidement obtenu l’appui du Royaume-Uni et de la Chine. Les États-Unis et la Russie ont tout d’abord refusé d’adhérer à un arrangement global comme celui-ci, de peur que cela ne restreigne leurs opérations anti-terroristes. En fin de compte, une version édulcorée a été mise sur la table, et ce, uniquement dans les pays où le Conseil de Sécurité de l’ONU joue un rôle prépondérant en excluant effectivement les opérations anti-terroristes et tous les groupes armés considérés comme terroristes. Finalement, plus de trois mois après l’appel initial de Guterres – et au terme de querelles entre les États-Unis et la Chine quant à la manière d’évoquer l’OMS sans la mentionner dans le texte –, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 2532 (2020) le 1er juillet. Pour la plupart des conflits concernés par cette résolution, au moins un groupe considéré comme « terroriste » est partie prenante au conflit. Le fait de les exclure, ainsi que les opérations menées contre eux, ne correspond donc pas à un arrêt des combats proprement dit.

Parmi les groupes désignés, nombreux sont ceux qui n’avaient pas besoin d’être encouragés par une résolution de l’ONU afin de s’exclure eux-mêmes de tous les cessez-le-feu. Les deux franchises d’opposition armée les plus connues, à savoir l’État islamique et Al-Qaïda, ont pris position publiquement au sujet de la pandémie de coronavirus. Très tôt, l’État islamique a pris position de la manière la plus agressive. Dans le magazine Al Naba daté du 18  mars[8]“The Worst Nightmare of the Crusaders”, Al Naba Newsletter, issue 226, accessed through: Aymenn Jawad Al-Tamimi, “Islamic State Editorial on the Coronavirus Pandemic”, 19 March 2020, … Continue reading, Daech a appelé ses partisans à profiter de la « faiblesse de l’ennemi » pour mener des attaques et libérer les prisonniers musulmans enfermés dans « les prisons des infidèles et les camps de la honte dans lesquels ils sont exposés à la maladie ». Ces propos font très probablement référence aux camps de détention situés dans le nord-est de la Syrie, dans lesquels sont détenus les anciens combattants de Daech et leurs familles. Al-Qaïda s’est associée à ces propos plus tardivement, à la fin du mois de mars[9]“The Way Forward, A Word of Advice on the Coronavirus Pandemic”, accessed through: https://twitter.com/thomasjoscelyn/status/1245311851325423616, en déclarant que « le temps est venu de diffuser la bonne Aqîda, d’appeler au Jihad comme Allah le souhaitait, et de se rebeller contre l’oppression et les oppresseurs ». Al-Qaïda semble néanmoins promouvoir une approche plus passive, appelant principalement les Occidentaux à envisager une conversion à l’Islam, et recommandant aux Croisés « d’attendre, car nous aussi attendons. » Ces deux prises de position mettent également l’accent sur les références islamiques en appui aux messages de santé publique, et notamment sur la nécessité d’adopter de bonnes pratiques d’hygiène.

Les deux franchises d’opposition armée les plus connues, à savoir l’État islamique et Al-Qaïda, ont pris position publiquement au sujet de la pandémie de coronavirus.

 

Cet « affaiblissement de l’ennemi » dans certains contextes peut être compris de manière assez littérale, car les hauts dirigeants et les bases militaires ne sont pas sortis indemnes de la crise du coronavirus. Au Mali, les forces françaises de l’opération anti-terroriste Barkhane et les forces de maintien de la paix de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) ont été contaminées par le virus et confinées dans leurs baraquements, ce qui a impliqué une capacité d’action réduite de leur part. Au Nigéria, le directeur de cabinet du Président, considéré comme l’une des personnalités les plus influentes du pays, est décédé des suites de la Covid-19. Aucun groupe indépendant lié à l’État islamique ou à Al-Qaïda n’a adhéré publiquement à cet appel à prendre les armes (exception faite de la déclaration du groupe al-Shabab affilié à Al-Qaïda au sujet du coronavirus, qui était antérieure au communiqué d’Al-Qaïda) et, dans beaucoup d’endroits, une augmentation des combats a été observée. Le nombre d’attaques revendiquées par l’État islamique en Irak a doublé depuis le début de la pandémie. Dans le nord du Mozambique, l’évolution du conflit s’est accélérée au cours des deux derniers mois, notamment par le biais de nombreuses attaques ciblant les capitales de districts. Au Nigéria, une recrudescence des attaques de Boko Haram a été constatée, y compris par le biais d’incursions à Maiduguri, la capitale de l’État de Borno. Au Sahel, le conflit entre Al-Qaïda et l’État islamique s’est intensifié. Dans tous les cas, cette intensification s’explique par les dynamiques locales. Cela dit, la tendance montre une augmentation plutôt qu’une diminution des combats depuis le début de la crise de la Covid-19.

Aider ceux qui échappent à « l’intérêt commun »

Tandis que les soins de santé dispensés en situation de conflit ont été encore plus coûteux et dangereux que d’habitude en raison de la pandémie, les organisations humanitaires devront lutter pour assurer le maintien des opérations (sans même parler de les élargir), car la pandémie monopolise les personnels soignants et les fournitures médicales. La plupart de ces blocages sont imposés par les États, ce qui implique une collaboration gênante avec les autorités étatiques afin de dépasser les obstacles. Dans les zones de conflit, cet état de fait doit être expliqué aux groupes armés non étatiques. L’urgence des besoins peut donner l’occasion d’ouvrir des voies de communication avec les groupes armés habituellement hors d’atteinte ou, à l’inverse, de créer de nouvelles barrières avec d’autres groupes. Comme toujours, chaque contexte déterminera si la Covid-19 est un défi ou une opportunité.

Il faut d’abord et avant tout maintenir, partout où cela est possible, les soins médicaux qui sauvent des vies et dont la plupart n’ont rien à voir avec la Covid-19.

 

Au vu de toutes ces contraintes, il faut faire des choix et établir des priorités. Il serait malheureux de se laisser tenter par l’utilisation des ressources limitées uniquement disponibles dans les endroits les plus faciles d’accès, où des populations plus nombreuses peuvent être aidées et où le plus de vies peuvent être sauvées. Les zones de conflit n’en font pas partie. Pourtant, les personnels humanitaires ont pour mission de venir en aide aux populations les plus vulnérables et à ceux qui échappent à « l’intérêt commun ». Cela inclut les migrants, les sans-abris et les personnes âgées en Europe et en Amérique du Nord ; les patients atteints du VIH/sida et de la tuberculose en Afrique ; et les personnes vivant en situation de conflit partout dans le monde. Il faut d’abord et avant tout maintenir, partout où cela est possible, les soins médicaux qui sauvent des vies et dont la plupart n’ont rien à voir avec la Covid-19 ; et lorsque cela est possible, lutter contre la pandémie.

Traduit de l’anglais par Méline Bernard

 


ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-684-3

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References

References
1 Mit Philips, “Dying of the Mundane in the Time of Ebola: The Effect of the Epidemic on Health and Disease in West Africa”, in Michiel Hofman and Sokhieng Au (eds.), The Politics of Fear, Oxford University Press, 2017, p.101-119.
2 UN Commission on Human Rights, “The Siracusa Principles on the Limitation and Derogation Provisions in the International Covenant on Civil and Political Rights”, 28 September 1984, E/CN.4/1985/4. https://www.refworld.org/docid/4672bc122.html
3 Karline Kleijer, “How the Ebola response failed the people of DRC”, MSF, 24 March 2020, https://www.msf.org/how-ebola-response-failed-people-drc  ; Heather Pagano and Emmanuel Lampaert, “Ebola Healthcare at Gunpoint – the New Normal?”, MSF-Analysis, 26 December 2020, http://msf-analysis.org/ebola-healthcare-gunpoint-new-normal
4 ICRC, “COVID-19: How IHL provides crucial safeguards during pandemics”, 30 March 2020, https://www.icrc.org/en/document/covid-19-how-ihl-provides-crucial-safeguards-during-pandemics
5 United Nations, “Secretary-General’s Appeal for Global Ceasefire”, 23 March 2020, https://www.un.org/sg/en/content/sg/statement/2020-03-23/secretary-generals-appeal-for-global-ceasefire
6 United Nations, “Update on the Secretary-General’s Appeal for a Global Ceasefire”, 2 April 2020, https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/update_on_sg_appeal_for_ceasefire_april_2020.pdf
7 Al Jazeera, “Taliban launches campaign to help Afghanistan fight coronavirus”, 6 April 2020, https://www.aljazeera.com/news/2020/04/taliban-launches-campaign-afghanistan-fight-coronavirus-200406055113086.html
8 “The Worst Nightmare of the Crusaders”, Al Naba Newsletter, issue 226, accessed through: Aymenn Jawad Al-Tamimi, “Islamic State Editorial on the Coronavirus Pandemic”, 19 March 2020, www.aymennjawad.org/2020/03/islamic-state-editorial-on-the-coronavirus
9 “The Way Forward, A Word of Advice on the Coronavirus Pandemic”, accessed through: https://twitter.com/thomasjoscelyn/status/1245311851325423616

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