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Pourquoi la Covid-19 ne doit pas être considérée uniquement comme une urgence humanitaire

Anna Khakee
Anna KhakeeElle a rejoint le Département des relations internationales de l’Université de Malte en 2011. Elle est directrice du Réseau d’action humanitaire (NOHA) depuis 2014. Avant sa nomination, elle a travaillé comme chercheuse senior au Graduate Institute (IHEID) à Genève, en Suisse et pendant plusieurs années en tant que consultant pour des think tanket des organisations internationales, comme le Centre norvégien de consolidation de la paix (FRIDE), le Centre pour le contrôle démocratique des forces armées (DCAF) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Elle est titulaire d’un doctorat en science politique et relations internationales de l’IHEID. Elle a publié de nombreux articles, notamment dans le Journal of North African Studies, dans Mediterranean Politics, Mediterranean Quarterly, Communist and Post-Communist Studiesou East European Politics and Societies.

La déflagration sanitaire, sociale et politique que représente la pandémie actuelle doit-elle amener les humanitaires à s’émanciper du principe de neutralité ? C’est une réponse fermement positive que l’auteure apporte ici à cette question. Anna Khakee estime que les ONG humanitaires doivent prendre parti afin de ne pas être instrumentalisées en contribuant seulement à revenir au statu quo ante.

Des gens meurent, connaissent la faim et se retrouvent démunis à cause de la Covid-19. Partout dans le monde, le confinement des sociétés a d’abord été une décision humanitaire prise dans l’objectif de sauver des vies. Néanmoins, cet article défend l’idée que les acteurs du secteur humanitaire devraient prendre garde à ne pas considérer la situation principalement, ou même essentiellement, comme une urgence humanitaire. Aujourd’hui, dans l’hémisphère nord, une résistance active et forte s’oppose aux interventions de santé publique purement humanitaires visant à répondre à la crise. Des voix s’élèvent haut et fort pour exprimer leurs inquiétudes au sujet des inégalités sociales, ethniques et économiques et du déséquilibre entre les habitats humains et naturels qui sous-tendent la crise. Et ces voix appellent à un remaniement complet plutôt qu’à un réajustement des structures dominantes. Aucune raison ne justifie que ce débat ne soit au moins aussi vif dans les pays de l’hémisphère sud et leur voisinage. Cependant, jusqu’à présent, et bien que des voix s’élèvent également dans l’hémisphère sud, nous attendons encore que ce débat foncièrement politique se mette à résonner plus fort, au-delà du clivage nord-sud. Ici, le rôle des acteurs du secteur humanitaire sera crucial, car ils peuvent aussi bien favoriser qu’entraver la discussion. Dans le contexte politique actuel, étant donné le rôle majeur qu’ils jouent dans la définition du discours relatif aux relations nord-sud, ils devraient être conscients du fait que toute réponse humanitaire avant tout technique et axée sur la santé publique (et prétendument apolitique) revêt en réalité une connotation politique forte. En d’autres mots, dans le monde actuel de l’après-Covid-19, la neutralité de l’action humanitaire – qui n’est jamais une chose simple à mettre en place – est un terrain miné. 

L’humanitarisme prend de l’ampleur dans l’ensemble des pays du Nord

Le rôle joué par les acteurs du secteur humanitaire s’est renforcé pendant la période de la Covid-19 et à la suite de celle-ci. Dans les pays d’où proviennent habituellement les financements, les personnels humanitaires œuvrent là où on ne les attend pas d’habitude. En Belgique, en France, en Italie, en Espagne et dans d’autres pays européens, l’organisation Médecins Sans Frontières soutient les systèmes de santé et les hôpitaux débordés. Les Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ont joué un rôle capital dans la fourniture de soins visant à traiter les malades de la Covid-19 issus de communautés à risque, dans des contextes dans lesquels elles n’avaient jamais travaillé auparavant, comme avec les migrants dans des centres spéciaux de mise en quarantaine à Malte. Dans toute l’Europe, le personnel humanitaire s’est vu assigner une mission supplémentaire : traiter les conséquences économiques indirectes de la crise sanitaire sur les populations en difficulté. Des travailleurs clandestins de Genève, en Suisse, aux étudiants issus de milieux précaires à Lille, en France, les organisations humanitaires apportent désormais une aide de première nécessité à de nouveaux groupes, dans certains pays comptant parmi les plus riches au monde. Et il est peu probable que cette situation cesse prochainement. Quelques mois après le début de cette crise économique qui, selon de nombreux analystes, devrait durer plusieurs années, il est de plus en plus difficile pour les populations déjà pauvres et marginalisées de Klaipėda, de Naples, de Floride ou d’Alaska, de gagner leur pain quotidien[1]Lauren Bauer, “The COVID-19 crisis has already left too many children hungry in America”, Brookings Institution, 6 May 2020, … Continue reading.

C’est au Yémen que le taux de mortalité le plus élevé a été enregistré à hauteur de 22,7 % de cas confirmés.

 

Les conséquences humanitaires de la Covid-19 dans les pays de l’hémisphère sud

Aussi navrant que cela puisse être, tout cela n’est évidemment qu’un vague murmure comparé à l’impact de la Covid-19 dans les pays les plus pauvres du monde du point de vue matériel. Le nombre de morts y est effrayant. Selon les statistiques, c’est au Yémen que le taux de mortalité le plus élevé a été enregistré à hauteur de 22,7 % de cas confirmés en date du 5 juin 2020, ce qui reflète le faible nombre de tests effectués et, sans doute plus important encore, la nette implosion du système de santé national[2]Johns Hopkins Corona Virus Resource Center, “Mortality Analysis”, https://coronavirus.jhu.edu/data/mortality consulté le 5 juin 2020.. Lors de l’écriture de cet article, le Brésil faisait face à une catastrophe sanitaire publique sur le point d’échapper à tout contrôle. Les taux de mortalité sont sous-évalués quasiment partout, mais cela est encore plus fréquent dans les pays de l’hémisphère sud, où l’accès aux soins est plus précaire et où les mécanismes de diagnostic et de signalement sont moins bien financés et mis en œuvre. Les inégalités qui caractérisent la fourniture des soins de santé publique sont faciles à identifier : la plupart des pays africains n’ont que quelques respirateurs artificiels (ou n’en ont pas un seul, comme c’est le cas pour certains États), disposent de réserves en oxygène limitées et, plus simplement, manquent d’eau potable et de savon[3]Ruth Maclean and Simon Marks, “10 African Countries Have No Ventilators. That’s Only Part of the Problem”, The New York Times, 18 April, updated 17 May 2020, … Continue reading. Par ailleurs, les effets indirects de la crise de la Covid-19 sont tout aussi terrifiants : pour les secteurs reposant sur l’export ou les industries tournées vers l’extérieur comme le textile, de même que pour certains types de production et le secteur du tourisme, la ruine est quasi totale. Des Massaïs du Kenya, qui dépendent du tourisme de safari, jusqu’aux travailleuses de l’industrie du textile du Bangladesh, programmée pour fournir en vêtements tous les revendeurs des pays riches, les vies de nombreuses personnes travaillant dans ces industries ont été brisées. Et les modes de subsistance liés à des activités locales n’ont pas nécessairement été épargnés, à l’image de ces millions d’Indiens employés dans des usines locales, dans de petits commerces ou en tant que personnel de maison, qui retournent dans leurs villages d’origine, situés parfois à plus de 1 000 kilomètres des métropoles dans lesquelles, à peine quelques mois plus tôt, ils aspiraient à trouver une vie meilleure. Les personnes qui pensaient profiter de l’ascenseur social dans les grandes mégalopoles mondiales espèrent désormais réussir à trouver de quoi se nourrir au quotidien. La faim menace non seulement les pays les plus pauvres, mais également les pays à revenu intermédiaire.

Une perspective humanitaire contestée dans l’hémisphère nord

Il est évident que les personnels humanitaires doivent agir dans le but de sauver des vies et de rendre une certaine dignité aux personnes qui vivent dans des situations extrêmement difficiles, et c’est bien ce qu’ils font, souvent avec un courage admirable. Cela dit, considérer qu’il s’agit simplement de sauver des « vies nues », pour reprendre les mots de Giorgio Agamben, serait en soi une tragédie. Envisager cette catastrophe au travers du prisme de l’humanitarisme omet de prendre en compte certains aspects essentiels, ainsi que ses principales causes et implications.

Cet argument a déjà été vigoureusement défendu dans l’hémisphère nord. Dans les pays du Nord, un vif débat politique porte sur la manière d’interpréter et d’analyser cette crise, et sur les conclusions que l’on peut en tirer. Ce débat vise essentiellement à repousser les interprétations au-delà des aspects purement médicaux, épidémiologiques, humanitaires ou liés au confinement. Les questions posées touchent aux fondements de l’organisation de nos sociétés, de nos économies et de notre rapport à la nature : à la base, la Covid-19 est-elle une crise environnementale, une manifestation de liens contre nature entre les humains et les espèces animales ou de l’empiétement de l’homme sur les habitats sauvages qui a mené à la crise ? Le taux de mortalité inégal, et en particulier la surreprésentation des minorités ethniques et socialement désavantagées, est-il le résultat d’inégalités structurelles bien enracinées dans les zones les plus riches du monde ? Les systèmes publics de santé européens et nord-américains mis sous pression, et bien souvent dépassés, sont-ils la preuve de l’échec des modèles économiques néolibéraux dominants, qui reposent sur l’efficience et l’approvisionnement « just-in-time », via un réseau de chaînes d’approvisionnement qui s’étend aux quatre coins du monde ? Est-il juste que les « métiers indispensables » soient souvent les moins bien rémunérés ? Les réponses gouvernementales qui mettent l’accent sur les entreprises sont-elles justes et appropriées, alors même que ces entreprises offrent de généreux dividendes à leurs actionnaires et des trains de vie opulents à leurs managers, mais ne disposent pas des économies que tout travailleur ordinaire se doit d’avoir pour pouvoir tenir trois ou quatre mois sans couler et en conservant tout leur personnel ? Devrions-nous plutôt, à l’instar de l’Espagne, nous orienter vers un revenu universel de base ? Au fond, comment devrions-nous réagir, et à quoi devrait ressembler le monde post-Covid ? Julie Billaud défend l’argument selon lequel les pays de l’hémisphère nord doivent éviter de recourir à une grille de lecture humanitaire pour analyser la crise de la Covid-19. Selon elle, le fait d’avoir imposé un état d’urgence, puis mis l’accent sur les mesures biomédicales, prouve que les gouvernements occidentaux préfèrent interpréter la crise comme une simple thématique « humanitaire » ou « technique », et non pas comme un sujet politique. Dans tous les pays de l’hémisphère nord, cette perspective favorise non seulement l’obscurcissement des questions que nous avons soulevées précédemment, mais aussi la prise de décisions profondément politiques en se basant sur l’expertise[4] Julie Billaud, “Coronavirus: Less Humanitarianism, More Politics!”, Allegra lab, 25 March 2020, https://allegralaboratory.net/coronavirus-less-humanitarianism-more-politics-corona.

Le débat dans les pays de l’hémisphère sud et leur voisinage

Comme nous pouvons le constater, les arguments politiques qui, pour reprendre les craintes de Julie Billaud, auraient pu ne pas être pris en compte dans l’hémisphère nord, ont heureusement été formulés, bien que la bataille idéologique soit loin d’être gagnée par l’une ou l’autre des parties. Sur ce point, la controverse tient au fait que ce débat est également urgent dans les pays de l’hémisphère sud et leur voisinage, même s’il y a été majoritairement étouffé jusqu’à présent. Il est important qu’un tel débat ne soit pas, comme cela a tendance à se faire, complètement noyé dans la complexité de la détresse humaine et des besoins immédiats, ou encore parmi les traditionnelles demandes visant à augmenter l’aide et à annuler la dette, quelle que soit l’utilité de ces requêtes. De fait, jusqu’à présent, l’une des rares initiatives visant à combler le fossé nord-sud est favorable à l’allègement de dette. Cette idée a notamment été portée par une initiative mondiale lancée par un groupe de parlementaires appelant à « une généralisation de l’annulation de la dette » dans un courrier adressé aux dirigeants du FMI et de la Banque mondiale[5]“Intl Delegation Letter to IFIs on Debt Forgiveness for IDA Countries”, https://www.sanders.senate.gov/download/ifi-letter?id=D3601AD9-E5CB-4E1E-9FC3-7F1936C70706&download=1&inline=file. De la même manière, les personnels humanitaires ont protesté face à la baisse des niveaux d’aide[6]Raphael Gorgeu, “The world tomorrow: COVID-19 and the new humanitarian”, Humanitarian Law and Policy Blog, 20 May 2020, … Continue reading. Toutefois, ces demandes n’abordent pas les questions plus fondamentales. Oui, il est vrai que certains pays pauvres croulent sous les dettes, et, oui, il est tout aussi vrai que les financements attribués au secteur humanitaire sont mis à mal. Mais la nécessité d’annuler la dette et celle de fournir une aide humanitaire ne sont que les manifestations de problèmes politiques et économiques plus profonds.

Les gouvernements occidentaux préfèrent interpréter la crise comme une simple thématique “ humanitaire ” ou “ technique ”, et non pas comme un sujet politique.

 

À la base, les questions qui se posent dans les pays de l’hémisphère sud ne sont pas complètement étrangères à celles de l’hémisphère nord. Elles sont liées aux inégalités économiques, à l’origine ethnique et à la nature structurelle du racisme, que ce soit entre les États de l’hémisphère sud ou en leur sein même. De plus, elles intègrent le caractère inadapté de la sécurité sociale et des filets de sécurité, l’état du système de santé publique et le respect des obligations relatives aux droits économiques et sociaux dans le contexte du système économique mondial actuel. Au-dessus de tout cela planent les menaces d’effondrement et de destruction sur le plan environnemental. Des questions de ce genre ont bel et bien été soulevées dans l’ensemble des pays du Sud. Ainsi, un appel conjoint lancé par plusieurs analystes africains a pointé du doigt le fait que les classes moyennes et supérieures du continent africain ne tiennent pas compte de la détresse économique, sanitaire et médicale des groupes les plus pauvres de leurs sociétés. Ils ont insisté sur le fait que la crise de la Covid-19 est un moment propice à une réforme plus profonde, en particulier du secteur de la santé, et plus largement des systèmes politiques et des modèles de développement nationaux, dans le but de trouver des solutions collaboratives pour le continent africain[7]« Aux dirigeants du continent africain : face au Covid-19, il est temps d’agir ! », Mediapart, 13 April 2020, … Continue reading.

Certains rapports préliminaires et d’autres déclarations faites par des institutions internationales et des ONG en campagne ont fait écho à ces préoccupations. À titre d’exemple, c’est ainsi que la Sous-Secrétaire générale de l’ONU, Kanni Wignaraja, a appelé de ses vœux « des idées plus audacieuses » afin de lutter contre les effets de la Covid-19 sur les populations les plus pauvres, en mentionnant notamment le concept de revenu universel de base[8]Kanni Wignaraja, “The need for universal basic income”, UNDP blog, 6 May 2020, https://www.undp.org/content/undp/en/home/blog/2020/the-need-for-universal-basic-income.html. Dans une analyse conjointe des conséquences de la Covid-19 sur le travail des enfants, l’OMT et l’UNICEF ont mis l’accent sur les réponses-clés que constituent la protection sociale, la réforme du marché du travail, le droit du travail et les droits humains internationaux, ainsi que la justice[9]ILO and UNICEF, “COVID-19 and child labour: A time of crisis, a time to act”, 2020, https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/COVID-19-and-Child-Labour-publication.pdf. D’autres acteurs ont demandé avec insistance un remaniement global de certaines industries mondiales bien précises, comme le textile, afin de s’orienter vers une voie plus équitable[10]Meg Lewis, “Opinion: The fashion industry must learn from coronavirus”, Thomson Reuters Foundation News, 24 April 2020, https://news.trust.org/item/20200424064703-2ftug. Parmi les principales agences mondiales du domaine des énergies renouvelables et de la gestion des ressources, beaucoup ont exhorté les gouvernements à investir dans les énergies renouvelables afin de relancer la croissance économique après la crise de la Covid-19[11]Jillian Ambrose, “Green energy could drive Covid-19 recovery with $100 tn boost”, The Guardian, 20 April 2020, … Continue reading. En outre, d’autres acteurs ont appelé à une transformation profonde des systèmes agroalimentaires mondiaux, y compris par le biais de la localisation de la production et d’une action gouvernementale plus forte. Cela dit, ces appels ont jusqu’à présent surtout été publiés dans la presse spécialisée, mais n’ont pas résonné dans le débat public comme les appels au changement lancés dans les pays de l’hémisphère nord.

L’humanitarisme politique n’est pas là où vous pensez qu’il se trouve

Dans la lutte contre la Covid-19, beaucoup de métaphores belliqueuses ont été utilisées, et les présidents et Premiers ministres ont adopté l’attitude de généraux et commandants en chef. Pourtant, il ne s’agissait évidemment pas d’un conflit armé. Aussi n’est-il pas acceptable que les gouvernements déclarent, comme il leur arrive parfois de le faire, que les personnels humanitaires prennent le parti de l’ennemi, car l’ennemi est un virus. L’argument utilitaire de la neutralité, utilisé pour convaincre les acteurs armés réfractaires à l’idée de laisser passer les personnels humanitaires, n’a donc plus lieu d’être. Dans le cas de figure de la Covid-19, la position philosophique de la neutralité – qui établit qu’il ne faut pas s’engager dans des controverses de nature politique, car l’humanitarisme a pour but de les surmonter et d’aller au-delà – est impossible à adopter. Cela s’explique par le fait qu’une posture qui resterait purement technique, médicale et épidémiologique est, comme nous l’avons vu, dans les circonstances actuelles, l’une des postures les plus politiques qui soient. En effet, elle favorise un certain nombre de réponses internationales, qui ne remettent pas en question les inégalités structurelles et les moyens du monde d’avant la crise Covid-19, dans l’objectif de prédominer. Étant donné l’autorité morale des organisations humanitaires, leur silence et leur insistance au sujet des risques techniques et à court terme rendent légitime le status quo ante comme un élément auquel aspirer et vers lequel retourner. Il est vraiment nécessaire que leurs voix s’élèvent dans un débat qui, jusqu’à présent, est resté trop discret de part et d’autre du clivage nord-sud.

Si les acteurs du secteur humanitaire se contentent de permettre aux populations de l’hémisphère sud de retrouver une vie normale, ils deviennent alors une force conservatrice, et non plus progressiste.

 

Les populations des pays de l’hémisphère nord ont été tellement accaparées par les incidences de la Covid-19 sur leur petit monde qu’elles ont relégué encore plus loin à l’arrière-plan ce qui se trame au-delà de leur périmètre. En conséquence, les gouvernements, les organisations internationales et les acteurs non gouvernementaux sont encore moins mis sous pression qu’en temps normal en vue d’agir dans l’intérêt des populations des pays de l’hémisphère sud à long terme. Cela signifie également que la voix des organisations humanitaires sera plus importante que jamais à l’avenir. En effet, les débats relatifs aux changements plus profonds des systèmes agricoles, des relations commerciales, de l’accès aux soins de santé publique, de la garantie d’un revenu de base pour les plus pauvres et de la gestion des milieux naturels, entre autres sujets, ne pourront sans doute pas avoir lieu sans elles. Comme l’a fait remarquer Didier Fassin, « partout dans le monde, les populations ne souhaitent pas simplement retrouver une vie normale… mais, au-delà de cet objectif, elles souhaitent changer de vie et construire un autre modèle de société, qui ne reposerait pas simplement sur l’individualisme, la recherche du profit et l’exploitation des ressources de la planète, mais sur la solidarité, la justice sociale et la protection de l’environnement[12]Didier Fassin, interviewed by Joanne Lipman, “An Unprecedented Health Crisis: Didier Fassin on the Global Response to the Covid Pandemic”, Institute for Advanced Study, 3 June 2020, … Continue reading  ». En définitive, si les acteurs du secteur humanitaire se contentent de permettre aux populations de l’hémisphère sud de retrouver une vie normale, ils deviennent alors une force conservatrice, et non plus progressiste, au sein de notre monde contemporain.

Traduit de l’anglais par Méline Bernard


ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-700-0

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References

References
1 Lauren Bauer, “The COVID-19 crisis has already left too many children hungry in America”, Brookings Institution, 6 May 2020, https://www.brookings.edu/blog/up-front/2020/05/06/the-covid-19-crisis-has-already-left-too-many-children-hungry-in-america et Zosia Wanat, “Coronavirus will increase number in EU at risk of going hungry, experts warn”, Politico, 4 May 2020, https://www.politico.eu/article/coronavirus-could-double-number-of-europeans-at-risk-of-going-hungry-experts-warn
2 Johns Hopkins Corona Virus Resource Center, “Mortality Analysis”, https://coronavirus.jhu.edu/data/mortality consulté le 5 juin 2020.
3 Ruth Maclean and Simon Marks, “10 African Countries Have No Ventilators. That’s Only Part of the Problem”, The New York Times, 18 April, updated 17 May 2020, https://www.nytimes.com/2020/04/18/world/africa/africa-coronavirus-ventilators.html
4 Julie Billaud, “Coronavirus: Less Humanitarianism, More Politics!”, Allegra lab, 25 March 2020, https://allegralaboratory.net/coronavirus-less-humanitarianism-more-politics-corona
5 “Intl Delegation Letter to IFIs on Debt Forgiveness for IDA Countries”, https://www.sanders.senate.gov/download/ifi-letter?id=D3601AD9-E5CB-4E1E-9FC3-7F1936C70706&download=1&inline=file
6 Raphael Gorgeu, “The world tomorrow: COVID-19 and the new humanitarian”, Humanitarian Law and Policy Blog, 20 May 2020, https://blogs.icrc.org/law-and-policy/2020/05/20/the-world-tomorrow-covid-19-new-humanitarian
7 « Aux dirigeants du continent africain : face au Covid-19, il est temps d’agir ! », Mediapart, 13 April 2020, https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/130420/aux-dirigeants-du-continent-africain-face-au-covid-19-il-est-temps-dagir
8 Kanni Wignaraja, “The need for universal basic income”, UNDP blog, 6 May 2020, https://www.undp.org/content/undp/en/home/blog/2020/the-need-for-universal-basic-income.html
9 ILO and UNICEF, “COVID-19 and child labour: A time of crisis, a time to act”, 2020, https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/COVID-19-and-Child-Labour-publication.pdf
10 Meg Lewis, “Opinion: The fashion industry must learn from coronavirus”, Thomson Reuters Foundation News, 24 April 2020, https://news.trust.org/item/20200424064703-2ftug
11 Jillian Ambrose, “Green energy could drive Covid-19 recovery with $100 tn boost”, The Guardian, 20 April 2020, https://www.theguardian.com/environment/2020/apr/20/green-energy-could-drive-covid-19-recovery-international-renewable-energy-agency
12 Didier Fassin, interviewed by Joanne Lipman, “An Unprecedented Health Crisis: Didier Fassin on the Global Response to the Covid Pandemic”, Institute for Advanced Study, 3 June 2020, https://www.ias.edu/ideas/fassin-covid-global-response

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