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Variations nationalistes en Équateur : les ONG face à l’inclusion et à l’exclusion des exilés colombiens et vénézuéliens

Lucie Laplace
Lucie LaplaceLucie Laplace mène une recherche doctorale en science politique sur la gestion des exilés colombiens en Équateur durant la période 2000-2017 à l’Université Lumière Lyon 2 et au laboratoire Triangle. Elle est actuellement membre de l’Institut Convergences Migrations. Depuis 2016, elle s’intéresse aussi à la gestion de l’explosion migratoire vénézuélienne en Amérique latine, notamment l’évolution des politiques nationales des États d’accueil et celle des programmes des associations de Vénézuéliens y vivant. Plus largement, elle suit les changements politiques et électoraux dans cette région du monde (missions d’observation électorale de court terme avec l’Organisation des États américains en 2015 au Guatemala, et avec l’Union européenne en 2018 au Paraguay).

L’Équateur s’est longtemps présenté comme un pays d’accueil particulièrement favorable aux migrants. Mais depuis une dizaine d’années, le « nationalisme inclusif » s’est transformé en un « nationalisme excluant ». Les ONG d’aide aux migrants forcés se sont mobilisées juridiquement et en mettant en place des programmes économiques pour promouvoir la figure du « bon » réfugié.

En juin 2007, le président de l’Équateur Rafael Correa affirmait qu’« aucun être humain n’est illégal ». Quelques mois après, en  2008, la nouvelle Constitution du pays proclamait que « les migrants étrangers ont les mêmes droits que les Équatoriens » (art. 11). État ayant reconnu le plus de réfugiés d’Amérique latine, l’Équateur menait alors une politique progressiste et inédite qui semblait créer un cadre d’action particulièrement favorable, en partenariat avec les organisations non gouvernementales (ONG) spécialisées dans la protection, dessinant ainsi les contours d’une société accueillante. Pourtant, depuis 2010, un virage sécuritaire s’est dessiné, particulièrement à compter de l’élection en 2017 du président Lenín Moreno. En août 2018, une déclaration du ministre de l’Intérieur accuse les migrants d’être vecteurs de maladies et de crimes « pervertissant » l’ordre public et « contaminant » la société équatorienne. En janvier 2019, le féminicide d’une femme équatorienne enceinte, Diana, perpétré par son compagnon vénézuélien en pleine rue de la ville d’Ibarra, conduit les habitants à chasser les populations vénézuéliennes de la ville, cailloux à la main. Le lendemain, à Quito, une manifestation dénonce les violences machistes et xénophobes. Face à la situation, le gouvernement augmente les mesures de sécurité et affirme que la protection des nationaux est une priorité l’emportant sur celle des étrangers, en particulier les exilés vénézuéliens qu’il stigmatise[1]«Feminicidio en Ecuador: las polémicas medidas adoptadas por el gobierno ecuatoriano para los inmigrantes venezolanos tras el asesinato de una mujer embarazada a manos de su expareja», BBC News … Continue reading. Le 20 janvier, le président Moreno déclare sur le réseau social Twitter, sous le hashtag « #Nous sommes tous Diana ! » :

« L’Équateur est et sera un pays de paix. Je ne permettrai à aucun antisocial de nous l’enlever. L’intégrité de nos mères, de nos filles et de nos compagnes est ma priorité. J’ai pris des dispositions pour la formation immédiate de brigades pour contrôler la situation légale des immigrants vénézuéliens dans les rues, sur les lieux de travail et à la frontière. Nous étudions la possibilité de créer un permis spécial d’entrée dans le pays. Nous leur avons ouvert nos portes, mais nous ne sacrifierons la sécurité de personne. Il est du devoir de la Police d’agir avec fermeté contre la délinquance et le crime, et elle a mon soutien. . »[2]Traduction de l’auteure et de l’éditeur.

Face à ces discours contradictoires, quelles sont les stratégies qui ont été développées par les ONG d’aide devant l’afflux d’exilés colombiens et de migrants vénézuéliens dans le pays, deux populations immigrées majoritaires en Équateur ? Ces deux types de discours (progressiste versus sécuritaire) réactualisent en effet l’opposition entre l’étranger « désirable » et celui qui serait « indésirable », déjà présente dans les normes migratoires des années 1940-1971 en Équateur, fondatrices de l’approche sécuritaire et développementiste nommée « ouverture segmentée ». Plus qu’une opposition, il s’agit d’un continuum entre nationalisme inclusif et nationalisme excluant, avec lequel ni les acteurs politiques ni les ONG de protection des réfugiés ne sont arrivés à rompre. Cet article analyse l’évolution des discours et des pratiques dans le traitement des migrants et exilés colombiens et vénézuéliens, en décryptant le jeu d’acteurs des institutions étatiques et d’autres acteurs politiques dont les ONG d’aide, tout en tenant compte des contextes de crises économiques et politiques.

Cette analyse s’appuie sur une recherche doctorale en cours sur les politiques de gestion des exilés colombiens en Équateur. Elle inclue notamment 22 mois d’enquête de terrain, de 2015 à 2017, ayant donné lieu à une centaine d’entretiens de travailleurs des organisations du secteur et de réfugiés, et d’observation du travail des ONG spécialisées[3]Les principales ONG du secteur en Équateur ont été interrogées. Toutes sont des antennes nationales des ONG internationales suivantes : Hebrew Immigrant Aid Society (HIAS), le Service Jésuite … Continue reading, lors d’ateliers mettant en œuvre divers programmes sociaux en faveur des migrants forcés (aide psychologique, accompagnement juridique, nutrition, formation professionnelle, formation à l’éducation financière, accompagnement à l’élaboration d’un projet professionnel).

L’« ouverture segmentée », marqueur de l’avènement d’un État moderne et gardien de ses frontières

Aux XIXe et XXe siècles, l’identité de l’État-nation équatorien se construit avec la maîtrise de son territoire vis-à-vis de ses voisins (guerres avec le Pérou en 1855, 1941 et 1995), et en interne par l’exploitation de son territoire (agriculture et conquête de l’Amazonie) qui « modernisent » l’économie et « civilisent » ses populations autochtones[4]Emmanuelle Sinardet, « Nation, mémoire et équatorianité (1895-1915). La littérature d’histoire des frontières », América. Cahiers du CRICCAL, 2004, vol. 31, n° 1, 2004, p. 271-278.. Les mouvements migratoires étant faibles, la gestion des migrations s’aligne sur les régimes de nationalité et de citoyenneté qui sont fondés sur les valeurs de moralité et de civilisation. Le modèle de l’« ouverture segmentée » traduit les politiques sécuritaires et développementistes dominantes. Il différencie les étrangers « désirables » des « indésirables », suivant la vision du ministère de l’Intérieur, qui en monopolise la problématisation[5]Jacques Ramírez Gallegos, La política migratoria en Ecuador, IAEN, Quito, 2013.. Les étrangers « désirables » sont des investisseurs dont l’activité domestique le territoire et civilise les populations locales, tout en développant la richesse nationale et modernisant l’État-nation. Susceptibles de contaminer sanitairement et moralement la société équatorienne, d’autres étrangers sont catégorisés comme « indésirables » (pauvres, responsables de délits et crimes, trafiquants et prostituées, handicapés, etc.). Malgré l’évolution des normes juridiques, cette vision sécuritaire et développementiste ne semble pas avoir complètement disparu. Au contraire, elle paraît refaire surface dans les discours politiques, les normes juridiques et les pratiques institutionnelles.

Émergence d’un nationalisme inclusif : actualisation de la figure de l’étranger « désirable »

La gestion migratoire évolue dans un contexte de mobilisations sociales et indigènes contre les politiques néolibérales de la fin des années 1990 qui ont conduit à une crise économique et politique de grande ampleur, en particulier face à l’émigration massive d’Équatoriens à la suite du feriado bancario de 1999[6]En mars 1999, face à une crise économique, politique et sociale forte, le président de la République Jamil Mahuad ordonne la fermeture des banques pendant 24 heures, rendant impossibles toute … Continue reading. Dans le même temps, en Colombie, le conflit évolue, les civils deviennent la cible des logiques de rivalités territoriales des protagonistes (armée, guérillas, paramilitaires). À partir de l’année 2000, des milliers d’exilés colombiens tentent de trouver refuge en Équateur, dont l’État sollicite l’aide du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Face à ces nombreux enjeux sociaux, la société civile rend visible l’enjeu migratoire grâce aux propositions d’une large coalition entre défenseurs des droits humains, associations d’émigrés équatoriens à l’étranger et ONG spécialisées dans l’aide aux réfugiés. Cette coalition soutiendra la campagne de Rafael Correa en 2006. En effet, il est alors le seul candidat à politiser la problématique migratoire en mobilisant des arguments universalistes. Le projet de la « révolution citoyenne » s’appuie sur le travail de la coalition, dans lequel le migrant est présenté comme un vecteur de développement, qui caractériserait une société cosmopolite postmoderne. Les migrants sont associés au transfert d’argent comme de technologies en faveur des pays du Sud. Avec l’élaboration participative d’une nouvelle Constitution adoptée en 2008, de nouveaux principes sont définis (État plurinational, citoyenneté universelle, libre mobilité humaine, égalité de droits entre nationaux et migrants étrangers). La Constitution reconnait de nouveaux droits aux migrants, aux émigrés surtout[7]La Constitution de 2008 crée une cinquième circonscription électorale, permettant aux citoyens équatoriens vivant à l’étranger de voter et d’être élus. Voir notamment : Amanda Bernal, … Continue reading, mais aussi aux immigrés, et ce dans le but de recommander un meilleur traitement des émigrés dans les pays d’accueil (en général au Nord). L’identité nationale semble plus ouverte et le modèle de l’État-nation moins rigide, permettant de poser les bases d’un nationalisme inclusif. Le travail de plaidoyer des ONG en faveur des droits des migrants est clairement présent dans ces améliorations juridiques de valeur constitutionnelle.

« Face à ces nombreux enjeux sociaux, la société civile rend visible l’enjeu migratoire grâce aux propositions d’une large coalition. »

 

Grâce à l’augmentation du prix du baril de pétrole, le corréisme propose un modèle étatique fort qui articule politiques sociales, anti-impérialisme et souverainisme, autour d’une transition économique entre une économie primaire et une économie diversifiée stimulée par les transferts de technologies. De 2007 à 2013, le Secrétariat national pour les migrants (Senami) développe des politiques pour les émigrés[8]William Herrera Ríos, S’emparer des « absents » : la construction du Secrétariat national du migrant de l’Équateur (2007-2013), thèse de Science politique, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, … Continue reading au sein du ministère des Relations extérieures (MRE). Les institutions étatiques octroient un visa aux immigrés, les autorisent à accéder gratuitement aux systèmes publics de santé et d’éducation, et leur reconnaissent le droit de travailler. Cette implication plus forte de l’État n’affecte pas la division du travail : les ONG spécialisées, financées par la coopération internationale, continuent de mettre en œuvre des programmes sociaux (soutien juridique et psychologique, formation, microcrédit, etc.). Ces organisations promeuvent le nationalisme inclusif en formant aux droits des migrants les salariés des institutions étatiques partenaires (MRE, ministère de l’Intérieur, région, municipalité, institutions publiques d’enseignement et de santé). Ces dernières vont alors intégrer ces nouveaux usagers dans le cadre d’une transversalisation des politiques publiques en faveur de l’inclusion de ces personnes (dans l’éducation et la santé en particulier).

Effets de conjoncture, bascule du rapport de forces et politisation de la sécurité

En mars 2008, l’État colombien bombarde un campement secret des Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple (FARC) à la frontière, côté équatorien, tuant le numéro deux des FARC. Plusieurs scandales provoquent un repli de Correa sur la problématique migratoire : l’accusation du financement par les FARC de sa campagne électorale de 2006, et celle de la distribution de visas de réfugiés à des FARC qui entache une ONG proche du ministre de l’Intérieur dans le cadre de la politique dite « d’enregistrement élargi » (2009-2010), laquelle régularise plusieurs dizaines de milliers de Colombiens vivant en zone frontalière. La droite équatorienne s’insurge et tente de déstabiliser Correa en positionnant dans l’espace public la problématique de la sécurité. Pour ce faire elle relie l’augmentation de la délinquance à l’infiltration du conflit colombien, en tant que vecteur d’insécurité nationale. Fragilisé, le gouvernement Correa surenchérit et conflictualise l’immigration via le registre sécuritaire. Les politiques de reconnaissance des réfugiés sont limitées et visent à contrôler l’afflux (rétablissement de la présentation de l’extrait de casier judiciaire en juillet 2011, décret exécutif n° 1182 de 2012). Le taux d’acceptation des demandes d’asile passe de 62 % en 2010 à 17 % en 2014. Face à l’effondrement de l’accès à l’asile, des visas alternatifs sont mis en place en écho avec les politiques régionales de gestion des migrations forcées de la région du Plan d’action du Brésil (2014), le développement de la citoyenneté sud-américaine et la stimulation de l’économie régionale via les visas de migration des organisations du Marché commun du Sud (Mercosur, visa créé en 2014) et de l’Union des nations sud-américaines (Unasur, visa de résidence créé en 2017). Ces visas alternatifs permettent une gestion plus flexible des migrations colombiennes (nationalité de 80 % des détenteurs du visa Mercosur, dont une large majorité désigne le conflit comme cause de la migration), et limitent les responsabilités de l’État en matière de protection internationale[9]Jacques Ramírez Gallegos, Iréri Ceja, Coloma Soledad et al., «Ah, usted viene por la visa Mercosur»: Migración, integración y refugio en Ecuador, Quito, CELAG, 2017.. Cet affaiblissement de la protection internationale est un des premiers visages de l’exclusion relative et progressive des migrants. Il est une marque du retour du nationalisme excluant dans le pays, car il se fait au nom de la sécurité et contre l’asile.

Dans ce contexte de pression, les ONG se positionnent sur plusieurs fronts stratégiques. Certaines s’engagent dans une défense juridique en faveur des droits humains, et saisissent la Cour constitutionnelle contre le décret de 2012, que cette haute juridiction censure partiellement en 2014. Sous l’influence du Plan d’action du Brésil de 2014 et la position du HCR qui promeuvent la régularisation des migrants forcés, les ONG proposent et parfois payent le visa Mercosur aux exilés pour qu’ils s’intègrent plus rapidement dans la société. En référence à la figure historique du migrant « désirable », la figure du « bon » réfugié se développe au fur et à mesure que la sécurité s’impose dans le débat public. En parallèle des politiques de visas, ces organisations promeuvent sur la scène médiatique la figure néolibérale du réfugié autoentrepreneur. Elles accompagnent son développement via des dispositifs d’éducation financière, de formation professionnelle, d’intégration au système bancaire et d’offre de microcrédits. Cependant, ces programmes ne sont pas proposées à tous, excluant ceux qui ne correspondent pas à la figure du « bon » réfugié. En pratique, les capacités de mise en œuvre et de suivi individuel par les ONG sont limitées, provoquant une sélection encore plus forte des réfugiés associés à cette figure d’une intégration réussie.

« Le taux d’acceptation des demandes d’asile passe de 62 % en 2010 à 17 % en 2014. »

 

Ces ONG jouent donc un rôle de garantes de la figure du « bon » réfugié, mettant à distance le « mauvais » réfugié, figure qui peut être assimilée à celle, historique, du migrant « indésirable ». Ainsi, le nouveau visage du nationalisme excluant réactive ce clivage entre migrant « désirable » et « indésirable » dans lequel les ONG peinent à adopter une position univoque. En effet, elles articulent souvent une stratégie juridique de défense universaliste des droits fondamentaux avec des politiques économiques qui tentent de faire des réfugiés de « bons » migrants. Elles le font par la promotion de la figure du réfugié autoentrepreneur pour tenter de mettre en avant des critères de « désirabilité » de type économique qui devraient être inopérants face à l’obligation étatique d’assurer la protection internationale de ces migrants forcés.

Retour du nationalisme excluant : la difficile lutte des ONG pour les droits des migrants forcés

Dans un contexte de crise économique et politique forte, l’année 2017 est marquée par deux événements : l’adoption de la nouvelle loi migratoire et la fin de la présidence Correa. Dans un climat tendu, l’ex-président achève son mandat avec un bilan politique contesté et contrasté. Son dauphin, Lenín Moreno, est élu, mais il prend rapidement ses distances, proposant un dialogue avec la droite dans une optique de « réconciliation nationale ». La nouvelle loi migratoire est adoptée après 10 ans d’élaboration inégale. Ce texte est l’héritier manqué des principes constitutionnels progressistes de 2008, mais il est largement marqué par la nouvelle expansion du discours sécuritaire et développementiste, sans rupture réelle avec l’ancienne loi de 1971 qu’il remplace. L’immigré est sommé de présenter des garanties pour justifier qu’il n’est associé ni au terrorisme, ni au crime, ni au narcotrafic, et qu’il ne sera pas une charge pour l’État (justification de ressources économiques permettant son indépendance), le tout reflétant des stéréotypes tenaces contre les Colombiens. Des ONG saisissent la Cour constitutionnelle pour dénoncer, en vain, la non-conformité de la loi avec la Constitution de 2008. Là encore, le nationalisme excluant s’affirme avec la complicité de la justice, tandis que les ONG continuent de nourrir – au travers de leurs programmes économiques – la rhétorique « bon » versus « mauvais » réfugié, imbriquée dans l’opposition migrant « désirable » et « indésirable ».

En 2018, la crise politique et l’inflation économique qui sévissent au Venezuela conduisent à la dégradation des conditions de vie et engendrent une émigration spectaculaire[10]Fabrice Andréani, « Entre crash de l’État magique et boom de l’État bandit : le Venezuela dans le labyrinthe autoritaire », Problèmes d’Amérique latine, vol. 2, n° 109, 2018, p. 119-134.. En Équateur, cet afflux massif (641 353 Vénézuéliens, dont 18 % restent dans le pays en 2018) fait réagir le gouvernement qui renforce drastiquement sa position sécuritaire, conduisant à une nouvelle régression en matière de droits des migrants (résolution n° 152 du MRE d’août, et discussion d’un plan de contingence). Le MRE s’aligne progressivement sur la position sécuritaire du ministère de l’Intérieur. Dans le cadre de la promotion d’un ordre public nationalisé, car mis à mal par l’extérieur, le bien-être équatorien est placé au-dessus des obligations de protection des personnes exilées. La mise à distance et l’organisation du rejet des populations « indésirables » se font par différents moyens, pour endiguer l’afflux de Vénézuéliens : d’abord l’augmentation des prérequis pour entrer sur le territoire (passeport, carte d’identité avec certifications officielles de ces documents, extrait de casier judiciaire), puis la gestion des entrées uniquement par la création ad hoc d’un « visa humanitaire spécial ». Cette politique conjoncturelle crée de l’irrégularité et des mécanismes de « dé-protection » des migrants, en particulier vénézuéliens[11]Voir les cinq rapports de la série Viviendo al Límite publiés en 2020 et 2021 par l’ILDIS, le Colectivo de Geografía crítica, et la Red Clamor sur le site : … Continue reading, le tout complété par le maintien de lieux de détention et surtout la systématisation des reconduites à la frontière (réforme parlementaire de la loi migratoire de 2017 en décembre 2020). Mesures prises par à-coups par l’exécutif, celles-ci sont souvent contestées par les organisations de défense des droits (Défenseur des droits, ONG, institutions académiques) qui saisissent de nouveau la Cour constitutionnelle pour non-respect de l’ordre juridique (atteintes aux principes constitutionnels et à la loi migratoire de 2017) en août 2018 et en mars 2019, sans résultat significatif en faveur des droits des migrants et des exilés.

« Le contexte de crise économique et politique favorise l’établissement d’un consensus où l’immigration est présentée sous un jour essentiellement négatif. »

 

Le cas de l’Équateur témoigne du rôle important des organisations d’aide aux migrants qui ont activement participé à la reconnaissance de droits avancés des migrants, demandeurs d’asile, réfugiés, personnes en situation irrégulière, en 2008. Elles se mobilisent toujours contre les atteintes à ces droits, fortement accrues avec l’arrivée de la pandémie de la Covid-19 et le confinement national. Le contexte de crise économique et politique favorise l’établissement d’un consensus où l’immigration est présentée sous un jour essentiellement négatif. L’État se présente comme le garant de l’ordre public, de la sécurité nationale et des frontières (fermées depuis mars 2020), au détriment du respect de l’État de droit. Les ONG d’aide et le HCR, esseulés, n’arrivent donc plus à faire entendre leur position d’accueil des exilés, articulée autour d’un nationalisme ouvert. L’ambiguïté réside en ce que les programmes sociaux et économiques de ces ONG ne sont pas complètement incompatibles avec le nationalisme excluant, puisqu’elles promeuvent les critères historiques du migrant « désirable », conduisant ainsi à un renforcement du clivage entre « bons » et « mauvais » réfugiés. Et le contexte économique global ne fait que renforcer ce cercle vicieux en conduisant à l’augmentation des discriminations et de la xénophobie contre les migrants dont les flux se sont paupérisés, les plongeant d’autant plus facilement dans une situation de survie.


ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-887-8

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References

References
1 «Feminicidio en Ecuador: las polémicas medidas adoptadas por el gobierno ecuatoriano para los inmigrantes venezolanos tras el asesinato de una mujer embarazada a manos de su expareja», BBC News Mundo, 22 janvier 2019, https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-46967199
2 Traduction de l’auteure et de l’éditeur.
3 Les principales ONG du secteur en Équateur ont été interrogées. Toutes sont des antennes nationales des ONG internationales suivantes : Hebrew Immigrant Aid Society (HIAS), le Service Jésuite pour les Réfugiés, la Mission Scalabriniana, Asylum Access et Refugee Education Trust (RET).
4 Emmanuelle Sinardet, « Nation, mémoire et équatorianité (1895-1915). La littérature d’histoire des frontières », América. Cahiers du CRICCAL, 2004, vol. 31, n° 1, 2004, p. 271-278.
5 Jacques Ramírez Gallegos, La política migratoria en Ecuador, IAEN, Quito, 2013.
6 En mars 1999, face à une crise économique, politique et sociale forte, le président de la République Jamil Mahuad ordonne la fermeture des banques pendant 24 heures, rendant impossibles toute transaction bancaire et tout retrait d’argent pour les comptes disposant de plus de 200 dollars ; cette mesure nationale dure finalement cinq jours. Cet épisode nommé « feriado bancario » provoque la fermeture de plus de 70 % des institutions financières du pays, et l’émigration de plus de 10 % des Équatoriens entre 1998 et 2004, principalement aux États-Unis, en Espagne et en Italie.
7 La Constitution de 2008 crée une cinquième circonscription électorale, permettant aux citoyens équatoriens vivant à l’étranger de voter et d’être élus. Voir notamment : Amanda Bernal, « Le retornado dans le discours et les politiques des gouvernements de Rafael Correa (2007-2017). Retour sur un tournant dans le traitement institutionnel de la question migratoire », L’Âge d’or, n° 12, 2019, https://journals.openedition.org/agedor/5373
8 William Herrera Ríos, S’emparer des « absents » : la construction du Secrétariat national du migrant de l’Équateur (2007-2013), thèse de Science politique, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2016.
9 Jacques Ramírez Gallegos, Iréri Ceja, Coloma Soledad et al., «Ah, usted viene por la visa Mercosur»: Migración, integración y refugio en Ecuador, Quito, CELAG, 2017.
10 Fabrice Andréani, « Entre crash de l’État magique et boom de l’État bandit : le Venezuela dans le labyrinthe autoritaire », Problèmes d’Amérique latine, vol. 2, n° 109, 2018, p. 119-134.
11 Voir les cinq rapports de la série Viviendo al Límite publiés en 2020 et 2021 par l’ILDIS, le Colectivo de Geografía crítica, et la Red Clamor sur le site : https://geografiacriticaecuador.org/justiciamigrante/cartillas

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